« Du côté de chez Swann », de Marcel Proust,. / THOMAS SAMSON / AFP

Une nouvelle vente aux enchères d’objets ayant appartenu à Marcel Proust (1871-1922) a levé le voile sur les stratégies utilisées par l’écrivain pour faire parler de lui et de son œuvre. L’objet que la maison Sotheby’s mettra en vente à Paris, le 30 octobre, est jugé rarissime : un des cinq exemplaires de Du côté de chez Swann imprimés sur un des plus beaux papiers du monde, le papier « washi ».

Trois autres exemplaires sont au chaud chez leurs propriétaires, tandis que le quatrième a disparu sous l’occupation nazie. Celui qui sera exposé chez Sotheby’s du 26 au 28 octobre, et dont on estime la valeur entre 400 000 et 600 000 euros, n’est pas réapparu publiquement depuis 1942. Des sites spécialisés le décrivent comme un cinquième du « Saint Graal proustien ».

L’exemplaire de Du côté de chez Swann est un cadeau de Proust à Louis Brun, en charge, dans les années 1910, de l’édition chez Grasset. Il a été fait quelques années après une publication qui aura demandé du temps, de l’ingéniosité et de l’argent à l’écrivain.

Autopromo et corruption en milieu journalistique

Louis Brun ajoutera à cet exemplaire des documents, dont des lettres échangées avec Proust et des articles, que l’AFP et le Guardian ont consultées. Ces pages montrent à quel point Proust était impliqué dans la création du livre (typographie, prix) et dans ce qu’on n’appelait pas encore à l’époque « marketing » ou stratégie d’autopromo, mais qui y ressemblait.

Proust lui-même encensait, sous pseudonyme, son livre, décrivant Du côté de chez Swann comme un « petit chef-d’œuvre » qui « disperse les vapeurs soporifiques » des autres livres Pour faire parler de lui et de son livre, Marcel Proust fait appel à des amis qui écrivent des critiques élogieuses et essaient de caser les dites critiques dans les pages de journaux, parfois contre un peu d’argent. Parfois, Proust lui-même encensait, sous pseudonyme, son livre, décrivant Du côté de chez Swann comme un « petit chef-d’œuvre » qui « disperse les vapeurs soporifiques » des autres livres en ventes « comme un coup de vent ».

660 francs de l’époque pour un compte rendu avantageux sur la « une »

Il les envoyait tapés à la machine à Louis Brun « pour qu’il n’y ait aucune trace de [son] écriture » et ne pas pouvoir être relié « à l’argent qui va changer de main », écrit le Guardian citant une de ses lettres. Les sommes dont parle le journal anglais vont de 660 francs de l’époque pour un compte rendu avantageux sur la « une » du Journal des Débats à 300 francs pour une apparition dans Le Figaro, auquel il contribuait parfois. Dans une autre lettre, il s’en prend au quotidien qui aurait coupé une phrase qui le décrivait comme « l’éminent Marcel Proust ».

Payer pour des critiques élogieuses, ou même les faire soi-même, était une pratique « courante à l’époque », rappelle Benoît Puttemans, spécialiste des manuscrits chez Sotheby’s et grand amateur de l’œuvre proustienne. « Proust les a menées d’une main de maître. Il n’était jamais trop direct. »

Si l’écrivain devait être son propre attaché de presse, c’est que la maison Grasset ne mettait pas tellement de ressources pour défendre son travail. Il a fallu l’insistance de Marcel Proust auprès de Louis Brun pour qu’elle accepte de publier Du côté de chez Swann, en novembre 1913. Le livre paraîtra à frais d’auteur et de ses ventes dépendront les remboursements pour l’écrivain qui paya sa fabrication de sa poche.

Le livre finit par rencontrer le succès qu’on lui connaît et la Nouvelle Revue Française et Gaston Gallimard convainquent Proust de les rejoindre en 1916. C’est avec cette maison d’édition qu’il remporte le Goncourt trois ans plus tard pour A l’ombre des jeunes filles en fleurs.

Comme pour montrer qu’il n’avait pas oublié ceux qui l’avaient aidé pendant les moments difficiles, Marcel Proust dédicacera l’exemplaire de Swann envoyé à Louis Brun :

« A Monsieur Louis Brun, ce livre qui passé à la N(ouve)lle Revue française n’a pas oublié son amitié première pour Grasset. Affectueux souvenir, Marcel Proust. »

THOMAS SAMSON / AFP