Des partisans de l’indépendance collent des affiches, le 28 septembre à Barcelone. / JON NAZCA / REUTERS

Devant les portes de l’Université de Barcelone (UB), en plein centre-ville, de longues tables ont été installées sur les trottoirs. Des étudiants, en grève ce jeudi 28 septembre, distribuent des cartes postales : « Adieu le déni de démocratie, bonjour la démocratie », « Adieu déficit fiscal, bonjour notre propre agence des impôts », figurent parmi les slogans. Les affiches de l’association Omnium Cultural, sur lesquelles apparaît un visage dont la bouche est barrée d’un trait rouge, avec pour seule légende le mot « démocratie », partent comme des petits pains. Mais ce que les dizaines de personnes qui s’approchent des tables cherchent, ce sont avant tout des bulletins de vote.

« Il m’en faut onze », dit une jeune fille après avoir compté sur ses doigts les membres de sa famille. « Donne-nous en quatre », demandeà son tour un couple de personnes âgées. « C’est pour des amis qui ne peuvent pas se déplacer, nous devrons les emmener voter car ils sont en fauteuil roulant, explique Teresa Sagara, 77 ans. Nous voulons être libres, nous voulons voter, mais le gouvernement espagnol est antidémocratique », ajoute-t-elle. Son mari, Pere Martinez, est plus virulent : « Il n’y a pas de marche arrière, nous sommes déjà partis. L’Espagne est pourrie. Nous ne leur pardonnerons jamais », s’exclame-t-il, en référence aux tentatives de Madrid d’empêcher la tenue du référendum.

Application de téléphonie

Teresa et Pere avaient déjà imprimé leur bulletin de vote chez eux sur feuille A4, « au cas où », mais des amis leur ont expliqué que pour que le vote soit validé, il vaut mieux se procurer un vrai bulletin. N’ayant pas reçu de carte électorale, ils donnent aussi leur nom et leur numéro de carte d’identité à un étudiant, pour savoir, grâce à une application de téléphonie mobile créée ad hoc, dans quel bureau de vote ils devront se rendre. Quant à ceux qui n’auraient pas pu se renseigner, les volontaires ont tout prévu : sur presque chaque immeuble, ils colleront, dimanche, l’adresse du bureau auquel sont rattachés les habitants.

Saisie de matériel électoral et du courrier, fermeture de sites Internet, perquisitions, arrestations provisoires, la justice espagnole a tout fait ces deux dernières semaines pour empêcher l’organisation du référendum illégal sur l’indépendance. Mais Madrid n’a pas réussi à désamorcer la mobilisation. Jeudi 28 septembre, le ministère de l’intérieur a encore annoncé la saisie de près de 3 millions de bulletins de vote dans un entrepôt d’Igualada, dans la province de Barcelone. Déposés sur les pare-brise des voitures, distribués par des volontaires dans la rue, s’en procurer avant le vote est cependant ce qu’il y a de plus simple.

Pour empêcher un vote massif dimanche, le dernier espoir de Madrid repose sur la fermeture des bureaux de vote. Mercredi 27 septembre, le tribunal supérieur de Catalogne a ordonné aux Mossos d’Esquadra, la police catalane, de mettre des scellés avant samedi 30 septembre, sur les écoles et autres centres qui pourraient servir pour le référendum. Mais le ministre régional de l’intérieur, Joaquim Forn, a assuré qu’ils n’interviendront pas si cela suppose de troubler l’« ordre public » car « il n’est pas possible de générer des problèmes plus graves que ceux que l’on veut ­éviter. »

« Nous irons jusqu’au bout »

Or les associations indépendantistes ont mobilisé la communauté scolaire et les parents d’élèves pour occuper les établissements destinés au vote, dès le vendredi soir. « Ce n’est pas qu’une question d’indépendance, c’est une question de démocratie. Ils doivent nous laisser voter », explique Maria Goma, 17 ans, élève d’un lycée de Reus, venue en train à Barcelone pour participer à la grande manifestation de l’après-midi. Trop jeune pour se rendre aux urnes – le vote est réservé aux résidents en Catalogne de nationalité espagnole âgés de plus de 18 ans –, elle veut y participer activement. Vendredi soir, elle pense dormir avec des amis dans son établissement scolaire, avec sac de couchage et sandwich, pour empêcher la police de mettre des scellés sur la porte. Madrid dénonce l’utilisation des enfants.

Le gouvernement madrilène, qui a dépêché plusieurs milliers de gardes civils et policiers nationaux, logés dans des bateaux de croisière amarrés au port de Barcelone, avait aussi compté, pour freiner le vote, sur la peur des fonctionnaires, en martelant les risques judiciaires de collaborer au référendum. Le 28 septembre, près de 300 professeurs et directeurs d’établissement sont venus donner symboliquement les clés de leur école à Carles Puig­demont, qui les a rassurés sur les conséquences pénales de leur implication. « Sentez-vous libérés de cette responsabilité, leur a dit le président catalan. C’est moi et les ministres [régionaux] qui avons la responsabilité d’aller jusqu’au bout. Et nous irons jusqu’au bout. »

Certes, la commission électorale, chargée de veiller au bon déroulement du scrutin, a été dissoute après que la justice a imposé des amendes quotidiennes à ses membres. Le courrier électoral n’a pas été envoyé aux électeurs catalans, les bureaux de vote ne sont pas exactement les mêmes que pour des élections normales, les défenseurs du non n’ont pas fait campagne, ni ne voteront, car le vote est illégal, et le recomptage des bulletins manquera par conséquent de fiabilité. Mais la mobilisation et l’imagination des indépendantistes semblent imparables… et serviront sans doute de moteur à la majorité indépendantiste au parlement régional pour déclarer l’indépendance dès la semaine prochaine. Même si ni Madrid, ni la communauté internationale, ne sont prêts à la reconnaître.