Loup Bureau, à Nantes, sa ville d’origine, le 28 septembre 2017. / Franck Tomps pour Le Monde

En prison, il y a les livres que Loup Bureau pouvait lire et ceux qu’il rêvait d’avoir. Après 52 jours de détention « absurde », le journaliste français a recouvré la liberté le 15 septembre et, avec elle, le droit de lire ce qui lui plaît. Exit la biographie de Louis de Funès et A la recherche du temps perdu de Marcel Proust, il est aujourd’hui plongé dans La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq. Attablé à la terrasse ensoleillée d’un café nantais, mardi 26 septembre, il revêt la même éternelle parka verte que l’écrivain français – et, disent ses proches, le même goût du sarcasme.

Un livre qui aurait sans doute apaisé Loup Bureau lorsque son seul territoire était sa cellule de la prison de Sirnak, en Turquie. De retour en France, il prévoit de « profiter de ses proches » et de « savourer la simplicité du quotidien » : « Les deux choses qui m’ont le plus manquées », dit-il aujourd’hui d’un ton calme et le visage apaisé. Avant cela, il faut se rompre à l’exercice des interviews, une façon de « remercier tous ceux qui se sont mobilisés ».

Procès kafkaïen

Désormais libre, c’est à lui de raconter son histoire. A 27 ans, Loup Bureau est un éternel étudiant, repoussant inlassablement son entrée dans le monde du travail. Chaque année, il s’astreint toutefois à se rendre en solitaire dans une zone de conflit dans le but de vendre ses reportages. Après le Pakistan, l’Egypte, l’Ukraine, le jeune homme choisi en 2017 Erbil, la capitale du Kurdistan en Irak. Loup Bureau ne compte pas s’y attarder, il a une autre idée en tête : couvrir la bataille de Rakka, capitale autoproclamée de l’organisation Etat islamique, « qui sera la prochaine ville à tomber après Mossoul ».

Le journaliste adresse alors une demande de visa pour la Syrie. En attendant, il loge dans le quartier chrétien d’Erbil, où il s’ennuie. « Cette ville, l’été, c’est une espèce de Dubaï : c’est moche, il y a peu de vie, et il fait très chaud », résume le jeune homme, qui décide, en attendant son visa, de traverser la Turquie pour rejoindre une amie sur l’île grecque de Lesbos.

Le 26 juillet, il est interpellé alors qu’il se rend dans un commissariat à la frontière de l’Irak et de la Turquie pour obtenir un droit de passage. Les policiers « tiquent » en voyant le tampon du Pakistan sur son passeport. L’engrenage s’enclenche. Le profil Facebook du jeune homme est épluché et les policiers dénichent une photo qui leur déplaît : le journaliste y apparaît, l’air décontracté, au milieu de combattants des Unités de protection du peuple (YPG), une organisation de kurdes syriens considérée comme terroriste par la Turquie.

« L’ambiance change du tout au tout, je passe de suspect à terroriste », se rappelle Loup Bureau qui tente alors « de prouver à tout prix » qu’il est journaliste, notamment en se montrant « pleinement coopératif ». Le jeune homme est finalement libéré le lendemain du commissariat de Silopi où il avait été transféré. Mais alors qu’il attend son bus, décidé à rentrer à Erbil, une unité antiterroriste vient à sa rencontre : « On a deux trois questions à vous poser en plus. » Loup Bureau « comprend » : « Cela risque de durer. »

Transféré à Sirnak, non loin de la frontière turco-irakienne, il passera six jours en garde à vue, dans des conditions « éprouvantes et parfois humiliantes ». S’ensuit un procès kafkaïen de quinze minutes, au cours duquel Loup Bureau est jugé par une ancienne juge pour enfants fraîchement nommée, qui l’inculpe pour « appartenance » à une organisation terroriste, sans nommer cette dernière. Dans l’acte d’accusation, il est seulement fait référence à un reportage sur les YPG.

« Otage »

La juge signifie au jeune homme qu’il va passer un mois en prison, « le temps de vérifier que je suis bien journaliste », rapporte Loup Bureau, qui est enfin autorisé à prévenir sa famille, prévenue par le quai d’Orsay tout juste quelques heures plus tôt. Le journaliste décrit « l’espoir qui s’effondre » en même temps qu’on lui passe les menottes, avant de l’escorter vers la prison de haute sécurité de Sirnak. Lors d’une audition, le directeur lui intime de s’agenouiller devant le drapeau turc. « J’étais dans un tel état de désespoir, que l’on m’aurait dit de me rouler par terre, je l’aurais fait », résume-t-il.

Dans la cellule de 40 mètres carrés où il est placé à l’isolement, Loup Bureau bénéficie d’une télévision, retransmettant toutes les allocutions du président turc Recep Tayyip Erdogan. Le journaliste réalise alors « comment se construit l’opinion publique », à grands coups de discours sur « la guerre contre la terreur », celle de Daesh, des YPG, des Kurdes et du prédicateur Fethullah Gülen, dont le mouvement est décrit comme l’instigateur du coup d’Etat de juillet 2016. Alors qu’il tue le temps en regardant les informations « auxquelles il ne comprend rien », Loup Bureau constate effaré qu’il est présenté, lui aussi, comme un « terroriste ».

Il prend alors la mesure du poids politique de son dossier. « Les surveillants de la prison, les juges, les policiers… personne ne croyait à ma culpabilité », assure le journaliste, selon qui sa détention témoigne d’une « volonté de faire pression contre la France à travers moi ». Faisant l’analogie avec « le statut d’otage », Loup Bureau se sent pris dans un « jeu de pouvoir » dans lequel « les Turcs ont le dernier mot ».

Il apprendra ensuite qu’Emmanuel Macron a réclamé sa libération et quand son père, auquel il peut parler dix minutes au téléphone toutes les deux semaines, lui apprend la mobilisation qui s’organise en France. « Malgré tout ça, je voyais que rien ne bougeait, c’était très dur », se remémore-t-il, décrivant « l’angoisse d’une détention interminable ».

Loup BUREAU, à Nantes le 28 septembre 2017. / Franck Tomps pour Le Monde

Chronique d’un prisonnier

Si, les premiers jours de sa détention, le jeune homme essaye de se « prévoir des activités », comme se doucher, laver ses vêtements, faire du sport ou encore regarder la télévision le soir, il « perd espoir » au bout de dix jours « sans nouvelles de personne ». « A quoi bon faire des pompes si on est là pour six ans ? », résume le jeune homme, qui recevait une visite hebdomadaire de son avocat et entretenait quelques liens avec les gardiens. Le 11 août, une délégation française lui rend visite, apportant avec elle les « lettres salvatrices » de ses parents et de son amie. Des mots qu’il a « relus des centaines de fois », dès que l’espoir le quittait.

« Pour ne pas entrer dans une logique d’abandon », Loup Bureau écrit alors ses « chroniques de prisonnier », dans lesquelles il décrit ses émotions et raconte le quotidien de la prison. Il y a aussi les fameux livres, apportés lors des rares visites du consul, qui lui permettent « de sortir de la prison », et qu’il dévore en quelques jours.

Sa situation va finalement se débloquer du jour au lendemain. Après 51 jours de détention, son avocat turc, « jusqu’ici toujours très pessimiste », lui lance : « J’ai plein de bonnes nouvelles pour toi ! ». Le lendemain, vendredi 15 septembre, Loup Bureau passe à nouveau devant un tribunal où il comprend seulement le mot « liberté » en turc. Habitué aux douches froides, il préfère toutefois « ne pas y croire tant qu’il n’est pas dans l’avion ».

« La vie commence »

Lorsqu’il pose le pied dans l’appareil, après deux jours d’attente teintée d’angoisse, il raconte le « soulagement énorme » et « les larmes qui lui montent aux yeux ». A l’arrivée, en France, où l’attendent une quinzaine de proches, « on se dit que la vie commence », souffle Loup Bureau.

Comment reprendre le cours de sa vie ? Passé les détails prosaïques, comme racheter un téléphone et passer sa soutenance, se posent des questions plus intimes, sur le sens à donner au métier de reporter qu’il a choisi d’exercer. « Je ne veux plus infliger cela à mes proches. On oublie souvent quand on part en reportage que l’on ne part pas seul. Il y a toujours des gens qui nous attendent qui nous aiment », confie le jeune homme, qui prévoit de « se poser à Paris » quelque temps.

Et laisser loin derrière lui la Turquie. Le premier pays qu’il avait pourtant visité adolescent, alors qu’il s’offrait ses premiers moments de liberté. Un pays où il reste mis en examen. A ce stade, la justice turque a deux options : refermer son dossier sur un non-lieu ou décider de le poursuivre pour terrorisme.