Des manifestants repoussent la Guardia civile à Gérone, après la saisie d’urnes utilisées pour le vote d’autodétermination catalane, dimanche 1er octobre. / ARNOLD JEROCKI / DIVERGENCE POUR LE MONDE

La journée du dimanche a commencé très tôt à Gérone. Dès cinq heures du matin des centaines de personnes se sont postées devant les écoles primaires désignées comme bureaux de vote par le gouvernement de Barcelone, afin d’interdire l’accès à la police qui avait reçu l’ordre de les fermer et de saisir les urnes.

Il fait encore nuit noire mais les presque deux cents personnes réunies devant l’école primaire Francesc Eiximenis, située dans le centre ville, ont l’air plutôt réveillées. Certaines ont des cafés à la main, d’autres sont collées à l’écran de leurs portables qui brillent dans l’obscurité. « J’ai pris mon petit-déjeuner à 4 h 30 et je suis prête à tout », dit Matilda, 55 ans, qui a mobilisé toute sa famille : « Mon mari est à l’intérieur en attendant les urnes, mon fils devrait bientôt me relayer, ma fille, qui vit au Nouveau Mexique, est arrivée hier et repart demain, elle est juste venue voter. »

« On résiste comme Gandhi mais sans jeûner », ajoute Eduardo, un grand sourire aux lèvres et un sandwich sous le bras. « On attend les urnes, on nous dit qu’elles devraient arriver en camionnette ». Celle du boulanger vient tout juste de passer, son conducteur a klaxonné en signe de solidarité, les gens ont applaudi, « on va avoir des urnes toutes chaudes », s’exclame Eduardo.

Gérone est la plus indépendantiste des quatre régions catalanes, l’une des plus riches aussi. Carles Puigdemont, l’actuel président du gouvernement catalan, en a été le maire de 2011 à 2015. Sa successeure, Marta Madrenas, du PdeCat (le parti indépendantiste au pouvoir) gouverne en coalition avec les socialistes. Elle a voté peu après 9 heures du matin, dès l’ouverture de l’école Eiximenis. « Espérons que tout se passe bien aujourd’hui » dit-elle au Monde, « personne n’a rien à gagner s’il y a des incidents ». L’indépendance « n’est peut-être pas pour demain, car il y a beaucoup de manières d’y arriver mais l’important c’est que nous ayons pu nous exprimer ».

Le vote, explique la maire, « est une nouvelle preuve de notre détermination. C’est ce que nous voulions avant tout démontrer ». Elle est venue avec une délégation de parlementaires du Parti Nationaliste Basque (PNV), venus « observer l’organisation du scrutin », explique Irune Berasaluze qui vient de Vitoria.

« J’ai peur que cette journée finisse mal »

Les urnes en plastique sont finalement arrivées à l’école Eiximenis très discrètement, peu après 7 heures du matin. Elle ont été amenées à pied par des volontaires et ont été installées dans la cantine.

Même Joan Quer n’en n’a rien su et pourtant c’est lui qui a organisé la vigile nocturne. « Nous opérons comme des cellules isolées, nous ne savons pas ce que font les autres. N’oublions pas que nous luttons contre l’Etat. » Président de l’association des parents d’élèves de l’école, il a voté au nom de son père, « qui était sur la plage d’Argelès en 1939 ».

« Nous avons vu des voitures de police mais pour l’instant il ne s’est rien passé », raconte Joan. Ada, 66 ans, qui a également voté ce matin, a décidé de rester dans l’enceinte de l’école jusqu’à la fermeture du bureau de vote, théoriquement prévue pour 20 heures « afin de ralentir la police si elle nous oblige à partir ». Elle a amené des chips et une petite bouteille d’eau. « J’ai peur que cette journée ne finisse mal », dit-elle.

Quelques centaines de mètre plus loin, dans l’école primaire Joan Bruguera les choses se sont passées différemment. Laura est restée toute la nuit dans ce centre où étudie son fils. « Nous avons étudié la trajectoire des étoiles sous la pluie », disait-elle hier soir en s’esclaffant, tout en distribuant des bout de cake parmi les autres volontaires. Ils ont passé la nuit à voir des films et jouer à des jeux de société « à dormir aussi, car nombre d’entre nous sommes ici depuis vendredi ».

Poignet cassé

Dès le petit matin, voisins et militants indépendantistes ont commencé à se rassembler, sous le regard impassible, ou plutôt résigné, de deux agentes de la police régionale, les Mossos d’Esquadra. « Nous avons ordre d’emmener les urnes mais les gens nous ont empêché d’entrer et on n’a pas insisté », raconte l’une d’elle. Elles suivent les consignes du chef des Mossos, Josep Lluis Trapero, qui a ordonné d’éviter à tout prix les incidents. « Mais nous allons rester toute la journée pour surveiller ce qui se passe », ajoute l’agente.

Face à la « passivité » des Mossos d’Esquadra, critiquée par Madrid, la police nationale a investi l’école dès 9 h 30. Il y a eu des bousculades et des cris, des insultes aussi dirigées aux forces de l’ordre. « Ne les touchez pas, ne les touchez pas », criaient les manifestants à leurs compagnons qui se laissaient emporter, les mains en l’air, par les agents. « Ils ont essayé d’entrer pacifiquement mais nous nous étions accrochés les uns aux autres. Comme ils ne pouvaient pas passer, ils ont décidé de nous sortir un par un », raconte Andrés.

C’est alors que son amie, Mari Carmen est tombée. Elle a du être conduite à un hôtel voisin pour être soignée. Elle s’est cassée le poignet gauche. « Regardez ce qu’ils m’on fait, et maintenant comment je vais faire pour travailler ? », dit-elle en pleurant. Toute l’opération s’est terminée en un peu plus d’une demie heure.

Le quartier a vite repris un aspect de dimanche d’automne, les rues mouillées par la pluie de la veille, les commerces fermés et une odeur de cheminée qui flotte dans l’air. Et, de l’autre côté de l’avenue, à la terrasse d’un café, des familles et des touristes en train de petit-déjeuner.

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La consultation organisée dimanche 1er octobre par le gouvernement catalan est le point d’orgue d’un bras de fer engagé de longue date entre le pouvoir central et la région autonome, où l’indépendantisme est profondément ancré. Pour mieux en comprendre les ressorts et les enjeux, vous pouvez consulter :

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