Ils étaient venus en voisins à Amiens assister au premier derby des Hauts-de-France. Quelques heures de bus, et l’espérance de voir leur club du Lille olympique sporting club (LOSC), en difficulté en championnat avec la difficile prise de la greffe Marcelo Bielsa, se relancer face au promu amiénois. Mais samedi 30 septembre, la rencontre s’est brutalement interrompue à la 16e minute. Après l’ouverture de la marque de Lille par Fodé Ballo-Touré, une barrière a cédé au bas de la tribune visiteurs, provoquant la chute d’un grand nombre de supporteurs et la fin de la partie.

« J’ai entendu la barrière faire “crac”, et tous les supporteurs nous sont tombés dessus », confie Antoine Regent, au deuxième rang de la tribune lors de l’accident. Ecrasé par « une cinquantaine ou une soixantaine » de personnes, l’étudiant lillois en BTS immobilier confesse ne « pas avoir trop réalisé ce qui se passait », s’efforçant juste de « respirer tant bien que mal. » Dans la confusion qui règne dans le stade de la Licorne, et alors que les joueurs sont renvoyés au vestiaire, il faudra de nombreuses minutes pour dégager le jeune homme qui, sous l’effet du choc, ne ressent aucune douleur : « A mes parents qui m’ont appelé, j’ai dit que tout allait bien. J’ai raccroché, et j’ai fait un malaise. Mon seul souvenir, c’est que deux policiers m’ont porté, et quand j’ai repris connaissance, j’étais dans le camion des pompiers. » Victime d’un traumatisme crânien, d’un écrasement thoracique, et d’entorses à la cheville et au genou, il est évacué vers le CHU d’Amiens dont il sortira dimanche après-midi, en compagnie de cinq autres blessés.

Dans de nombreux stades de France, à l’instar de Nantes ou Saint-Etienne, les « ultras » ont pour coutume de dévaler les tribunes pour célébrer les buts. « Tout le monde court vers le bas, rappelle Benoît Guilbert, président du groupe de supporteurs les Dogues Audomarois. Mais la barrière ne cède pas. » Placé un peu plus haut dans la tribune, il était aux premières loges de l’accident. Et s’indigne de la réaction du président amiénois, Bernard Joannin, prompt après le match à mettre en cause l’action des supporteurs lillois. Sur la défensive, le président du club néophyte en Ligue 1 avait évoqué des « ultras lillois très énervés (…) lancés de façon désordonnée sur cette barrière en parfait état ».

Stade en rénovation pour l’ensemble de la saison

Face à l’indignation suscitée par ses propos, M. Joannin a rétropédalé dimanche, s’excusant pour sa « communication maladroite. » Mais Benoît Guilbert ne décolère pas : « C’est facile de s’excuser le lendemain, dénonce le supporteur lillois dont le fils a été blessé aux côtes et au thorax dans la chute. Il faut prendre le temps de la réflexion et analyser d’abord. Dire que les supporteurs ont voulu envahir le terrain est faux, et ça se voit. »

Promu en première division pour la première fois de son histoire au printemps, Amiens a dû mettre son stade aux normes de l’échelon supérieur. D’une capacité de 12 000 places, le stade de la Licorne, propriété de la métropole amiénoise, est sous-dimensionné pour la Ligue 1. Et reste en rénovation pour l’ensemble de la saison : devenue dangereuse, la verrière recouvrant la toiture devant être remplacée.

« Quand on rentre dans le stade, on voit qu’il est vraiment vétuste », abonde Sebastien Sersours, évoquant des traces de rouilles sur la structure métallique. A 21 ans, cet étudiant est l’un des derniers supporteurs lillois à être tombés. S’en sortant avec « une petite entorse », le jeune homme ne mâche pas ses mots à propos de la Licorne, « l’un des pires stades » jamais visité. Mais l’enceinte amiénoise, inaugurée en 1999, a été homologuée avant le début de saison par la Ligue de football professionnel (LFP).

Dimanche après-midi, des fans amiénois ont déployé une banderole devant l’hôtel de ville de la préfecture de la Somme, réclamant « une pensée pour les blessés, une sanction pour les coupables ». Pour le secrétaire du kop « Tribune Nord », qui a souhaité demeurer anonyme, la responsabilité de l’accident incombe à « la mairie d’Amiens, qui n’a pas entretenu le stade depuis plus de quinze ans. »

S’il est loin d’être comparable à la catastrophe provoquée par l’effondrement d’une tribune de Furiani, à Bastia en 1992, l’accident de samedi n’est pas une première dans le football hexagonal. Réclamant « une réflexion de fond » sur l’aménagement des stades, l’Association nationale des supporters (ANS) a déploré dimanche dans un communiqué « cinq incidents de ce type » depuis 2012, à Saint-Etienne, Bordeaux (à deux reprises), Lens et désormais Amiens. A l’étranger, des accidents similaires sont également survenus, notamment lors d’un Villareal-Naples, en 2011. Mais la plupart des matchs concernés ont repris, à la différence d’Amiens-Lille. Afin « d’établir pourquoi cette barrière a cédé », la LFP ouvrira une instruction jeudi, a déclaré sa présidente Nathalie Boy de la Tour. En parallèle à cette procédure sportive, le parquet amiénois a ouvert une enquête en flagrance pour « blessures involontaires ».

Les blessés (29, dont six grièvement) ont quitté l’hôpital dimanche, les bus de supporteurs ont repris la route. Et les fans lillois aspirent à se focaliser à nouveau sur le football. Reconnaissant « une légère appréhension », Antoine Regent jure que cet accident ne l’empêchera pas « de faire des déplacements et d’aller au stade. » Après tout, le LOSC, dans un grand flou sportif depuis le début de la saison, venait d’inscrire un but. Ce qui fait ironiser Benoît Guilbert : « Pour une fois qu’on marque, on arrête le match. »