Le compositeur Michel Legrand à la Cinémathèque française à Paris, en mai 2015. / BERTRAND GUAY/AFP

Michel Legrand a beau dire qu’il déteste les remakes, il ne manque pas de saisir l’occasion du 50e anniversaire des œuvres cultes qu’il a écrites à quatre mains avec le cinéaste Jacques Demy pour en changer la perspective musicale. Cinquante ans après l’obtention de la Palme d’or (1964) au Festival de Cannes, Les Parapluies de Cherbourg avaient connu, au Théâtre du Châtelet, en septembre 2014, une création scénique d’un genre inédit, à dominante symphonique, avec le concours de l’Orchestre national d’Ile-de-France dirigé par le compositeur.

Lire la critique de la création en 2014 : Du film culte de Jacques Demy au chef-d’œuvre de Michel Legrand

Un demi-siècle après leur apparition sur les écrans, Les Demoiselles de Rochefort (1967) sortent à leur tour de l’orbite cinématographique pour tenter l’expérience du jazz dans les conditions « standards » d’un big band et afficher au grand jour – par la création mondiale d’une Suite orchestrale des demoiselles, au sens de développement instrumental des thèmes phares – la vénération du modèle américain qui filtrait dans la partition d’origine.

Jeu très académique

Lorsque Michel Legrand se présente enfin, samedi 30 septembre, sur la scène du Grand Rex (« né » comme lui en février 1932), à Paris, pour donner (avec une demi-heure de retard) les trois coups de la soirée consacrée à la commémoration du cinquantenaire des Demoiselles de Rochefort (le film de Jacques Demy dont il a signé la bande originale), la musique a déjà commencé. Sur le plateau, seize jazzmen sont à l’œuvre, garde rapprochée (contrebasse, batterie, guitare électrique) et cohorte de grognards patentés (quatre trompettes, autant de trombones et cinq saxos), au milieu desquels siège Michel Legrand, au piano, sous l’arche colorée du Grand Rex comme sous un arc érigé pour son triomphe.

Mais on l’entend à peine. Son jeu, pourtant ferme, est très académique, avec balayage du clavier sur une même formule reproduite en cascade. Et, quand il se lève pour diriger l’ensemble, les musiciens ne le regardent pas, concentrés qu’ils sont sur l’entretien d’un brillant collectif ou sur l’exécution d’un solo performant. Le compositeur se replonge alors dans sa partition (sur ­laquelle il ne peut s’empêcher de chantonner), et l’on s’interroge.

Lambert Wilson massacre sans vergogne la « Chanson de Maxence » tandis que Melody Gardot lui fait honneur

Quelle part lui revient dans l’écriture de cette Suite orchestrale des demoiselles – ce « medley », dira-t-il plus tard ; ce pot-pourri, dirait-on sans ­intention péjorative – destinée à un big band constitué pour l’occasion ? La prestation de chaque musicien (dont on ne trouvera nulle part le nom) est si inventive qu’elle ne saurait être ­totalement fixée sur le ­papier… Au fil des plages (la Chanson d’Yvonne, plus swing que de raison, celle de Maxence, terriblement déformée, le ­« concerto » avec de faux airs de musique de western à la Ennio Morricone), il semble que Michel Legrand, tel Jonas, se soit perdu dans le ventre de la baleine jazz. Son identité passait mieux quand elle était simplement « jazzy », comme on le vérifiera ­ensuite avec la projection du film en version restaurée.

Surprise, avant l’entracte, à l’intention des 2 800 spectateurs de la salle surchauffée : un duo inattendu vient interpréter la Chanson de Maxence. Lambert Wilson (filet de voix, justesse défaillante) la massacre sans vergogne tandis que Melody Gardot (sensuelle et souple) lui fait honneur. Soudain, une envolée, façon scat : ­Michel Legrand assure les harmonies au piano à la main gauche et chante dans le micro qu’il tient de la droite. Fantaisie, légèreté, inspiration. Tout ce qui faisait défaut à la Suite.

Les Demoiselles de Rochefort • 50e anniversaire • Le Grand Rex Paris
Durée : 01:20