Le Nigeria, ancienne colonie britannique, a célébré, dimanche 1er octobre, sa souveraineté, jour de fête nationale depuis la proclamation de son indépendance en 1960. Les militants sécessionnistes du Biafra, qui interrogent haut et fort la légitimité de l’Etat, ne se sont pas joints pas aux festivités.

Le président nigérian Muhammadu Buhari a condamné, dimanche, les appels au « démembrement » du Nigeria et appelé à un dialogue « rationnel » après les violences qui ont opposé sécessionnistes pro-Biafra et forces de l’ordre dans le sud-est. « Les récents appels à la restructuration [de l’Etat fédéral], plutôt appropriés dans un débat légitime, ont permis à des groupes hautement irresponsables d’appeler au démembrement du pays », a déclaré le chef de l’Etat nigérian dans son discours.

Le Mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (IPOB) réclame la création d’une République indépendante dans le sud-est du Nigeria, à grande majorité igbo, où le sentiment de mise à l’écart par Abuja au profit du nord est de plus en plus fort.

Pourquoi le Biafra veut-il devenir indépendant ?

L’indépendantisme au sud-est, région la plus riche du pays en réserves pétrolières, ne date pas d’aujourd’hui. Les premiers gisements de pétrole ont été découverts au mitan des années 1950 et 1960, dans le delta du fleuve Niger et au large de la côte nigériane. Une première tentative de sécession en 1967 avait été réprimée dans le sang par les autorités. Mais le rêve d’indépendance demeure vif dans l’esprit des Biafrais et refait régulièrement surface avec, en toile de fond, la question de la gestion de la rente pétrolière.

En octobre 2015, la situation s’est à nouveau tendue avec l’arrestation du leader de l’IPOB, Nnamdi Kanu, poursuivi pour « trahison » et « atteinte à la sécurité de l’Etat ». Malgré sa libération sous caution fin avril 2017 en attendant le début de son procès en novembre, la tension n’est pas vraiment retombée.

Début septembre, l’armée a massivement déployé des troupes dans l’Etat d’Abia, officiellement dans le cadre d’opérations de lutte contre la criminalité, mais l’IPOB y a dénoncé une répression sanglante ciblant ses membres au cours de laquelle plusieurs militants auraient été tués. Des heurts violents ont opposé l’armée et indépendantistes dans l’Etat d’Abia et la ville pétrolière de Port Harcourt, dans l’Etat voisin de Rivers. Ces violences ont ensuite menacé de prendre une dimension interethnique plus large lorsque des troubles ont éclaté dans la ville de Jos, dans le centre du pays.

Pourquoi la situation s’est-elle brusquement dégradée ?

Le leader de l’IPOB Nnamdi Kanu, également fondateur de Radio Biafra, l’antenne indépendantiste, a vu sa popularité fortement grandir durant ses dix-huit mois d’incarcération. Les militants ont vécu son retour à Umuahia, ancienne capitale biafraise, comme un nouveau départ, à point nommé pour commémorer le cinquantenaire du début de la guerre du Biafra (1967-1970).

Les indépendantistes biafrais ont donc multiplié les manifestations et renforcé leur présence sur Internet, diffusant des messages sécessionnistes virulents et des informations délibérément fausses. De nombreux médias nigérians ont relayé les intox, affolant l’opinion publique. En juin, l’Arewa Youth, un groupe nordiste de jeunes musulmans radicaux, riposte aux provocations en demandant l’expulsion des Igbo chrétiens du nord du pays avant le 1er octobre. L’organisation est depuis revenue sur ses menaces, mais l’ultimatum lancé par les nordistes a mis le feu aux poudres.

A la mi-septembre, la situation dégénère dans l’Etat d’Abia. L’armée assaille par deux fois le domicile de Nnamdi Kanu à Umuahia et tue une quinzaine de militants ayant tenté de s’interposer en jetant des pierres aux soldats. Selon le Daily Post, le leader indépendantiste aurait été entendu pour la dernière fois le 14 septembre au cours d’une conversation téléphonique avec son avocat, Ifeanyi Ejiofor. Il lui aurait confié que l’armée avait assiégé sa maison familiale et qu’il se trouvait à l’intérieur. Pour Emmanuel Kanu, son frère cadet, le leader indépendantiste a « soit été arrêté, soit été tué par les militaires lorsqu’ils ont attaqué son domicile ». D’autres spéculations le disent en fuite. L’armée, quant à elle, dément formellement détenir Nnamdi Kanu.

La réaction des autorités a-t-elle été disproportionnée ?

Des clashs meurtriers entre soldats et militants de l’IPOB ont été déplorés les jours suivants dans plusieurs villes de l’Etat d’Abia. Une vidéo diffusée le 13 septembre montre des humiliations imposées par les soldats nigérians aux séparatistes. « Celui-là, il est mort », indique la voix hors champ, lorsque la vidéo s’attarde sur un corps inanimé et recouvert de sang. Les autorités de leur côté mettent en garde contre le « bidonnage » et les images « manipulées » que propagerait l’IPOB.

Amnesty International s’est dit « profondément préoccupé » par ces violences ainsi que « les pertes de vie présumées à travers le Nigeria » dont on ne connaît pas encore l’ampleur avec certitude. Reporters sans frontières a par ailleurs dénoncé une violente intrusion militaire au sein du centre de presse de l’Etat d’Abia, le 12 septembre : « Ils ont brutalisé certains des journalistes présents, et confisqué ou détruit leur matériel de reportage. »

Le 15 septembre, les autorités fédérales ont classé officiellement l’IPOB « organisation terroriste militante » alors que l’armée l’avait déjà qualifiée ainsi, donnant l’impression que la procédure juridique a été précipitée pour donner du crédit aux militaires.

Deux jours plus tard, la police annonce l’arrestation de 59 personnes, dont 14 seraient impliqués dans la mort d’un agent à Aba lors d’un incendie criminel dans un commissariat. Leur procès a été ajourné au 4 octobre.

Le 19 septembre à Abuja, une coalition des organisations de la société civile met en garde contre Nnamdi Kanu et les militants de l’IPOB qu’elle juge « plus dangereux que Boko Haram ». Les parallèles dressés lors de cette conférence de presse entre les peuples autochtones du Biafra et le groupe djihadiste sont largement relayés dans la presse nigériane.

Le conflit peut-il encore dégénérer ?

C’est une première, l’armée de l’air a rallié l’opération « Danse du python ». Sur le papier, l’opération vise les criminels et les réseaux d’enlèvements dans le sud-est. Mais le déploiement d’avions militaires au Biafra suscite de nombreuses interrogations. Les observateurs redoutent que les militants biafrais soient désormais dans le viseur des forces aériennes.

Par ailleurs, des signes de solidarité avec la cause biafraise ont été émis par un groupe de rebelles du Delta du Niger. Ces derniers auraient appelé le président Buhari à accorder l’indépendance aux Biafrais avant qu’une autre guerre civile n’éclate, comme le rapporte le Daily Post.

Le gouvernement Buhari ne semble pas ouvert au dialogue, malgré de nombreux appels. L’ancien président Olusegun Obasanjo, le président du sénat Bukola Saraki, l’archevêque d’Abuja et des élites intellectuelles telles que le prix Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka disent haut et fort leur inquiétude et appellent au dialogue.