Ulrike Lunacek a été, en 1995, la première femme politique autrichienne à assumer son homosexualité. / Imago/StudioX

La soixantaine passée, elle mène sans doute son combat le plus difficile. Aux législatives autrichiennes du 15 octobre, Ulrike Lunacek sera la tête de liste des écologistes (Die Grünen) – dont est issu l’actuel président du pays – alors que le parti vient d’éclater. Après la création d’une liste dissidente, les Verts ont perdu toute illusion d’obtenir un résultat à deux chiffres. Sur les plateaux de télévision, les questions qui lui sont adressées ne portent que sur ces divisions. Comme si tout le pays, pourtant conservateur par bien des aspects, avait fini par oublier qu’elle est ouvertement lesbienne.

Ulrike Lunacek est aussi la seule femme en lice à représenter un grand parti, ce qui ne semble pas la faire ciller : l’Autriche est une petite terre de paradoxes, avec une extrême droite très forte, des campagnes conservatrices et une capitale progressiste. Sa patrie à elle, c’est celle du chanteur drag-queen Conchita Wurst et du président Alexander Van der Bellen, ce chef de l’Etat écolo, un cas rare dans le monde et dont elle est si fière.

« Je suis encore malheureusement l’une des rares lesbiennes que les gens peuvent citer. » Ulrike Lunacek

Quand elle a fait son coming out, il y a vingt-deux ans déjà, Ulrike Lunacek est entrée dans l’Histoire comme la première Autrichienne célèbre à assumer publiquement son homosexualité. « Aujourd’hui, je suis encore malheureusement l’une des rares lesbiennes que les gens peuvent citer », énonce-t-elle en marge de la soirée de lancement de sa campagne, dans un palais viennois où ses militants distribuent des barres céréalières bio en guise de tracts.

Et c’est vrai qu’en Europe les dirigeantes lesbiennes se comptent sur les doigts d’une seule main. Il y a bien la première ministre serbe, Ana Brnabic, nommée tout récemment. Johanna Sigurdardottir, qui a redressé l’Islande quatre ans durant, à la suite de la grave crise financière de 2008, est un peu plus connue.

Mais aucune lesbienne ne peut se targuer d’avoir tenu une position aussi importante que celle d’Ulrike Lunacek : elle était encore tout récemment vice-présidente du Parlement européen. Après avoir milité pour les droits des femmes, elle a réussi à faire carrière en politique à partir de 1995, d’abord au Parlement national, puis à Strasbourg, où sa maîtrise des dossiers a petit à petit relégué les articles sur son orientation sexuelle au fin fond des archives.

« En Autriche, Ulrike peut devenir chancelière, mais elle n’a toujours pas le droit d’épouser sa compagne ! » Maria Vassilakou, première adjointe Die Grünen

« C’est vrai que ce n’est pas vraiment un sujet pour cette élection-là, remarque Maria Vassilakou, première adjointe Die Grünen à Vienne. Cela ne doit pas faire oublier ce paradoxe : en Autriche, Ulrike peut devenir chancelière, mais elle n’a toujours pas le droit d’épouser sa compagne ! » Ici, le mariage est toujours interdit aux couples de même sexe, qui peuvent seulement contracter un partenariat enregistré. L’égalité complète des droits est évidemment au programme de cette nageuse accomplie, qui a fait ses études d’anglais et d’espagnol dans le Tyrol. Elle le redira lors de la Conférence lesbienne européenne, qui va se tenir justement dans la capitale autrichienne, du 6 au 8 octobre. « L’occasion de rappeler que les lesbiennes sont toujours largement invisibles, explique Alice Coffin, coorganisatrice de cet événement inédit par son ampleur. Elles ont toujours été au cœur des combats pour l’émancipation, mais apparaissaient soit comme des militantes du mouvement LGBT, soit comme des militantes féministes. Jamais en tant que lesbiennes uniquement. Or qui sait par exemple que, parmi les figures de proue de Black Lives Matter aux Etats-Unis, il y a des lesbiennes noires ? On en retrouve souvent à des postes-clés de ce genre de mouvement, parce qu’elles ont un double vécu minoritaire qui les arme d’une forte conscience politique. Il est donc temps de leur offrir un peu de visibilité. »

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On retrouve chez Ulrike Lunacek ce sentiment de solidarité entre minorités, lorsqu’elle refuse de surenchérir sur l’immigration et l’intégration des musulmans, principal sujet du débat électoral. Elle s’interdit toute participation à un gouvernement de coalition avec l’extrême droite (FPÖ), qui stigmatise l’islam. Ce mariage de la carpe et du lapin, qui paraît impossible en France, est tout à fait envisageable dans un pays comme l’Autriche, où la proportionnelle règne. Mais, pour Ulrike Lunacek, ce serait une hérésie, après toutes les batailles qu’elle a remportées.