Une femme nettoie un balcon trois jours après la tenue du référendum d’autodétermination, le 4 octobre, à Barcelone. / YVES HERMAN / REUTERS

Aucune manifestation, pas un seul coup d’éclat contre la police. Malgré le coup de semonce provoqué, mardi soir, par le discours du roi d’Espagne Felipe VI, dans lequel il a fustigé la « conduite irresponsable » des autorités catalanes et dénoncé sa « déloyauté inadmissible », ouvrant ainsi la voie à l’utilisation de l’article 155 de la Constitution, qui permet de prendre le contrôle direct de la Catalogne, l’atmosphère à Barcelone était, mercredi 4 octobre, étrangement calme.

Contrairement à mardi, jour de grève générale pour protester contre les violences policières qui ont émaillé la tenue du référendum déclaré illégal par Madrid, les terrasses étaient remplies, les musées et le métro ouverts, les unités des Mossos d’Esquadra – la police catalane –, discrètement présentes, et la circulation à nouveau dense. Via Laietana où des milliers de manifestants s’étaient la veille réunis devant le siège de la police nationale pour notamment crier « assassins » et défier pacifiquement le symbole du pouvoir central, plus aucune trace des cannettes, bouteilles et bulletins de vote abandonnés par la foule. Même les policiers nationaux, barricadés la veille, n’ont pas hésité à s’attabler au café situé à l’entrée du bâtiment.

Ce qu’il s’est passé mardi soir a, pourtant, été vécu comme un « choc » par une partie des Catalans. D’ordinaire si soucieux de respecter la neutralité de la royauté, Felipe VI s’est, mardi soir, clairement rangé du côté des autorités espagnoles, accusant la Généralité catalane de « mettre en danger la stabilité économique et sociale de la Catalogne et de toute l’Espagne ».

« Il n’est pas mon roi »

« Je me sens absolument dépité, choqué de ce que j’ai entendu. Je n’arrive même pas à y croire », lance Enric, un banquier de 50 ans, croisé dans le quartier d’Eixample. « C’est le roi d’Espagne mais il vit dans un autre monde, dit-il. Il n’a pas une seule fois parlé des violences du 1er octobre [le jour du référendum]. C’est simple, j’ai l’impression de vivre dans une ville occupée, avec un hélicoptère qui survole le ciel et 10 000 policiers déployés. » Et d’ajouter, le visage fermé : « Il n’est pas mon roi. »

Signe que la société catalane est plus que jamais divisée, voire fracturée, nul besoin d’aller très loin pour entendre le discours inverse. « Je pense que le roi défend l’intégrité de son territoire. Aucun pays n’accepterait qu’une partie de son territoire se déclare indépendant », estime ainsi Alex, un expert-comptable de 25 ans. Selon lui, c’est désormais « un tel bordel » que « la solution est d’appliquer l’article 155 de la Constitution » de 1978, encore jamais utilisé en Espagne. Mais avec quelles conséquences ? « On ne peut pas le savoir », concède celui qui a refusé de « participer à un référendum illégal ».

D’autres, comme Andres, un quinquagénaire à la chevelure gominée et au tour de taille généreux, sont certes satisfaits de la teneur du discours, mais restent « très préoccupé(s) ». « On est face à deux positions irréconciliables, la situation devient dangereuse, notamment pour l’économie », insiste cet avocat.

« Il aurait dû rassurer la population »

Pour ajouter du flou à une situation qui n’en manquait pas, le chef du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, a annoncé, mardi soir, peu avant l’allocution du roi, son intention de déclarer l’indépendance « dans les prochains jours ». Face à la réaction du roi Felipe VI, M. Puigdemont prendra lui aussi la parole, dans un discours prévu mercredi soir.

En attendant d’en connaître le contenu, Enric, déterminé, ne décolère pas : « On va vivre des jours difficiles mais le processus d’indépendance de la Catalogne a déjà commencé. Je ne veux plus jamais être un citoyen espagnol, je n’oublierai jamais ce qu’il s’est passé le 1er octobre. Je ne pardonnerai jamais. » Quant à Carles Puigdemont, il « espère qu’[il] va réussir à négocier un nouveau référendum mais si ce n’est pas possible il faudra qu’il proclame l’indépendance ».

Moins déterminée et « triste », Alba, 22 ans, journaliste et non-indépendantiste, n’a, elle aussi, « rien aimé de ce qu’a dit le roi ».

« Il aurait dû pousser Carles Puigdemont et Mariano Rajoy à passer un accord, à se parler. Il aurait dû rassurer la population parce que ce qu’il s’est passé ces derniers jours en Catalogne n’est pas normal. »

Et comme beaucoup, elle ne sait « pas ce qu’il va se passer ces prochains » jours. D’autant qu’« on peut s’attendre à tout de la part de Puigdemont ».