Sur toutes les façades du quartier populaire de Kyadondo Est, en périphérie de Kampala, le portrait du député de l’opposition Robert Kyagulanyi, plus connu sous son nom de scène Bobi Wine, figure en bonne place. Située en plein milieu de l’arrondissement, la résidence du nouveau prodige de la politique ougandaise est un peu tape-à-l’œil, avec ses grands balcons et ses colonnades blanches. Dans la nuit du lundi 2 au mardi 3 octobre, elle a été la cible de grenades.

Mardi matin, l’ancien chanteur de ragga (un genre musical issu du reggae) a quelque peu perdu de sa superbe. Les traits tirés, vêtu d’un pull et d’un jean troué, il montre les dégâts causés par les projectiles. L’une d’entre elle a fait voler en éclats la fenêtre de la chambre de son fils aîné. « Ce sont des agents de l’Etat qui ont fait ça », s’insurge-t-il, sans donner plus de précisions. Pour lui, pas de doute possible : son engagement contre la réforme de la Constitution prévoyant de supprimer l’âge limite (75 ans) pour pouvoir se présenter à la présidentielle est à l’origine de cette attaque. Il affirme avoir « reçu des menaces de mort » le visant, lui et sa famille, s’il n’arrêtait pas tout de suite son militantisme.

En Ouganda, une séance au Parlement tourne au pugilat
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C’est la deuxième fois en trois jours que sa maison est visée de la sorte. Deux autres députés au moins ont également été la cible d’engins explosifs du même type, mais Bobi Wine est particulièrement sous les feux des projecteurs depuis son élection au poste de député, en juin. Et les images du mercredi 27 septembre le montrant tenir tête aux forces de sécurité venues l’évacuer de l’Assemblée nationale ont fait le tour des médias nationaux et internationaux. Lors d’un débat consacré au projet de réforme de la Constitution, la séance avait tourné au pugilat entre parlementaires, l’opposition dénonçant un texte permettant au chef de l’Etat, Yoweri Museveni, âgé de 73 ans et au pouvoir depuis 1986, de briguer un nouveau mandat en 2021. Convoqué par la police, Bobi Wine a été brièvement interpellé lundi après-midi.

Réputation de « bad boy »

Celui qui se surnomme lui-même le « président du ghetto » n’était pas destiné à devenir un professionnel de la politique. A 35 ans, celui qui a passé son enfance dans le bidonville de Kamwookya, à Kampala, traîne même une sérieuse réputation de « bad boy » malgré les costumes neufs impeccablement coupés qu’il arbore désormais. Et s’il est aujourd’hui engagé dans des programmes de lutte anti-drogue, son passé de consommateur le poursuit toujours.

« Bobi Wine était un chanteur engagé, préoccupé par les questions sociales qui touchent les personnes les plus pauvres en Ouganda, nuance Kim, qui travaille depuis neuf ans à ses côtés. Après les élections générales en 2016, il a pensé qu’il devait s’impliquer davantage et a décidé de se présenter au Parlement. » Adulé par les jeunes les plus pauvres, il n’a pas eu réellement besoin de faire campagne lors des élections partielles de juin. Il a battu à plate couture les candidats du Mouvement national de résistance (NRM, au pouvoir) et du Forum pour le changement démocratique (FDC, opposition traditionnelle). Beau joueur ou sincèrement admiratif, l’opposant historique à Museveni, Kizza Besigye, l’avait alors vivement félicité.

De quoi donner des ailes présidentielles au député reggaeman ? Les affiches à l’effigie de Bobi Wine ne fleurissent pas que dans sa seule circonscription. Dans les autres grandes villes du pays, comme Fort Portal, Hoima ou Gulu, on peut voir ses portraits sur les façades, preuve d’une popularité qui dépasse les faubourgs de Kampala. Lui affirme ne pas vouloir brûler les étapes. Mais ses discours prennent de plus en plus une portée nationale, et sa présence à New York en septembre lors d’une conférence de la Fondation Bill & Melinda Gates (partenaire du Monde Afrique), en marge de l’Assemblée générale des Nations unies où s’est exprimé le président Museveni, n’avait certainement rien d’un hasard.