LES CHOIX DE LA MATINALE

Cette semaine, notre liste ressemble à la vie un soir d’automne… Nostalgie, mélancolie mais aussi élans solidaires et envie de partage.

ROMAN. « Nos richesses », de Kaouther Adimi

A Alger, chacun continue à appeler « la librairie des Vraies Richesses » la minuscule boutique de la rue Hamani qui fait office d’annexe de la Bibliothèque nationale algérienne.

Emerveillée par l’histoire de ce lieu, Kaouther Adimi, née en 1986, en fait un symbole du recul des activités culturelles au profit des préoccupations mercantiles. Avec Nos richesses, elle ravive le souvenir du libraire Edmond Charlot, qui fut notamment le premier éditeur d’Albert Camus, et consacra sa vie à « publier, collectionner, faire découvrir, créer du lien par les arts ».

Elle réinvente ses carnets, faisant vivre au jour le jour ses enthousiasmes comme ses difficultés, son goût pour les aventures collectives. Et rend justice à Alger, véritable personnage qui accompagne la trajectoire d’Edmond Charlot et la destinée des Vraies Richesses. Florence Bouchy

SEUIL

« Nos richesses », de Kaouther Adimi, Seuil, 224 pages, 17 €.

ROMAN. « Mon Etincelle », d’Ali Zamir

A bord d’un avion sur le point de se crasher, Etincelle rend hommage à ceux qu’elle laisse derrière elle – sa mère, son île natale, les pittoresques habitants de celle-ci.

Conteuse géniale, qui risque de mourir avant de nous avoir dévoilé l’histoire secrète de ses origines, elle retrace les aventures de toute une galerie de truculents personnages, tels Douleur et Douceur, Efferalgan et Dafalgan…

On savoure ici l’esprit pétillant d’Ali Zamir (très remarquée en 2016 avec son premier roman, Anguille sous roche, Le Tripode), qui convoque Molière, Marivaux et Beaumarchais. Peinture de mœurs des Comoriens, Mon Etincelle offre aussi une critique cinglante de ses dirigeants. Mais, pour Zamir, la littérature est d’abord un lieu de partage d’expériences et d’une même humanité, et, par-là même, un lieu de solidarité. Gladys Marivat

LE TRIPODE

« Mon Etincelle », d’Ali Zamir, Le Tripode, 280 pages, 19 €.

ROMAN. « Le Cœur battant de nos mères », de Brit Bennett

Nadia a 17 ans. Elle vit à Oceanside (Californie) avec son père. Sa mère s’est tiré une balle dans la tête, les abandonnant à un face-à-face étouffant, où l’existence ne gravite plus qu’autour de l’église, des rumeurs et du qu’en-dira-t-on.

Heureusement, Nadia vient d’être admise à l’université et, en attendant de prendre son envol, « batifole » avec le fils du pasteur, Luke. Tout bascule lorsqu’elle se découvre enceinte et décide d’avorter. Un choix inacceptable pour la pieuse communauté d’Oceanside, et pour le chœur des commères qui commentent, comme à l’antique, le destin de Nadia.

Subtile réflexion sur les notions de choix, de féminisme et d’appartenance ethnique, sur le poids des attentes des autres, le premier roman de Brit Bennett a connu un succès retentissant, et mérité, aux Etats-Unis. Florence Noiville

AUTREMENT

« Le Cœur battant de nos mères » (The Mothers) de Brit Bennett, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Autrement, 370 pages, 20,90 €.

ESSAI. « Là où le cœur attend », de Frédéric Boyer

Voici un essai à la fois déchirant et rare. Il parvient en effet à ébranler son lecteur, en évoquant une chute personnelle – un épisode dépressif –, tout en lui fournissant des armes pour se relever.

Frédéric Boyer confesse avec pudeur et discrétion avoir été tenté de se suicider. L’épisode de mélancolie morale et physique de l’auteur n’est jamais détaillé, même s’il martèle l’ouvrage de sa présence. Car Là où le cœur attend (le titre renvoie aux Lamentations de Jérémie 3, 21) se veut surtout la réhabilitation d’une mal-aimée de notre ère prétendument « désenchantée » : l’espérance.

Seule l’espérance affronte l’expérience du vide qu’incarne le personnage de Job. Job, le juste plongé dans le malheur, n’est plus le symbole de la déshérence face à l’arbitraire divin ou au mystère du mal. Il devient celui qui « sauve l’espérance de sa malédiction ». Loin des dépressions collectives ou individuelles, le moindre mérite de ces pages tristes sans amertume, d’une incroyable délicatesse, n’est pas de nous entrouvrir la voie d’un possible salut. Nicolas Weill

P.O.L

« Là où le cœur attend », de Frédéric Boyer, POL, 190 pages, 15 €.