Editorial du « Monde ». Les Etats membres de l’Union européenne devraient voter, le 23 octobre, en Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, pour réautoriser – ou non – le glyphosate pour dix ans sur le Vieux Continent. Jamais, depuis la bataille pour l’interdiction du DDT, dans les années 1960 et 1970, une substance phytosanitaire n’avait focalisé autant l’attention médiatique. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé « cancérogène probable » le glyphosate, pesticide le plus utilisé du monde, ingrédient actif d’un désherbant commercialisé par Monsanto depuis 1974 sous le nom de Roundup. Le verdict du CIRC est venu contredire ceux d’agences réglementaires comme l’EPA, l’Agence de protection de l’environnement américaine, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) qui, elles, avaient conclu à la non-dangerosité du produit.

La confusion est donc totale. Depuis deux ans, toutes les propositions de la Commission européenne ont été rejetées, au point qu’une mesure de réhomologation intérimaire, pour dix-huit mois, a dû être prise à l’été 2016, pour sortir de l’impasse. A quelques jours du verdict, l’Italie, l’Autriche et la France ont annoncé qu’elles voteraient contre la réautorisation pour dix ans — seule proposition de la Commission aujourd’hui sur la table.

Comment la réautorisation d’un pesticide, qui relève habituellement d’une mesure technique, a-t-elle pu tourner, en deux ans, à la foire d’empoigne ? Comment a-t-elle pu à ce point entamer l’autorité de la Commission ?

Echec de l’expertise

L’enquête menée par Le Monde à partir de documents internes de la firme Monsanto, rendus publics aux Etats-Unis à la suite d’une action en justice collective de 3 500 plaignants, fournit de nombreux éléments de réponse : il en ressort que le géant américain de l’agrochimie a, de manière systématique, cherché à influencer la marche de la science et à intervenir dans les décisions des agences réglementaires. Monsanto a délibérément mêlé les écrits de ses propres collaborateurs aux expertises supposées indépendantes. Les agences européennes ont, parallèlement, échoué à produire une expertise scientifique et technique au-dessus de tout soupçon.

Il y a urgence à affronter ouvertement ce problème de fond. Car le cas du glyphosate n’est pas isolé. L’échec de l’expertise, c’est-à-dire l’incapacité à établir les faits en toute indépendance, a conduit la réglementation européenne sur les perturbateurs endocriniens (ces substances dangereuses, capables d’interférer avec le système hormonal) à une confusion similaire.

Après des années de batailles et de débats, le Parlement européen s’est prononcé, mercredi 4 octobre, contre les mesures de la Commission visant à encadrer les perturbateurs endocriniens, adoptées dans la douleur en juillet par les Etats membres. Sur ce dossier aussi, les experts européens se sont opposés à d’autres autorités scientifiques, qui jugeaient les mesures de protection de la santé publique proposées par la Commission trop limitées et non conformes à l’état de leurs connaissances. Il est inadmissible que des géants industriels, qu’ils s’appellent Monsanto ou Volkswagen, manipulent l’information au détriment de la santé publique. Il est impératif que les acteurs politiques s’emparent de la question de la nécessité de l’expertise scientifique indépendante et des moyens de la garantir.