Teddy Afro a écoulé pprès de 600 000 exemplaires de son cinquième album, « Ethiopia », sorti en mai. / Jack Vartoogian/Getty Images

A Addis-Abeba, les quatorze titres d’Ethiopia, le cinquième album du chanteur Teddy Afro, tournent en boucle dans les bars et les minibus bondés depuis sa sortie en mai. Nul ne peut échapper aux vendeurs à la sauvette qui hèlent le chaland avec des dizaines de CD dans les mains. Tewodros Kassahun, de son vrai nom, est l’une des plus grandes stars de l’histoire musicale éthiopienne. A seulement 41 ans, il fait même de l’ombre aux légendes vivantes Mahmoud Ahmed et Mulatu Astatke. Certes, sa popularité se cantonne à son pays – et à sa diaspora, surtout présente aux États-Unis –, mais en Éthiopie, c’est du jamais-vu.

Moins de deux semaines après sa sortie début mai, l’opus se hissait à la première place du classement Billboard’s World Albums, avec près de 600 000 exemplaires vendus. L’artiste chante les épisodes glorieux de l’histoire éthiopienne, et rend hommage aux anciens empereurs dont Haïlé Sélassié Ier. Il voit comme une « responsabilité » la transmission des « exploits » passés à la jeunesse de son pays.

« Ethiopia », le morceau éponyme de l’album sorti en mai

Teddy Afro - ETHIOPIA - ኢትዮጵያ - [New! Official single 2017] - With Lyrics [Updated]
Durée : 06:38

Si Teddy Afro est devenu populaire, ce n’est pas seulement pour ses chansons entraînantes, ou sa nostalgie assumée de l’Empire. Le chanteur critique aussi de manière subtile le gouvernement actuel, qui ne fait pas vraiment l’unanimité.

La coalition au pouvoir, le Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (EPRDF), est accusée de bafouer les libertés des citoyens et de privilégier une ethnie, les Tigréens – 6 % des 100 millions d’habitants –, au détriment des autres. En août, les autorités ont levé l’état d’urgence déclaré après des mois de manifestations antigouvernementales qui ont fait plusieurs centaines de morts. Teddy Afro, lui, prône plutôt l’unité nationale. Dans un récent entretien, il regrettait que le pays soit « divisé » à cause du gouvernement, et estimait que parler de politique ne devrait pas être un « péché ».

Condamné pour homicide involontaire

L’engagement politique de Teddy Afro n’est pas nouveau. En 2005, il sortait son troisième disque intitulé Yasteseryal (« pardon » en guèze, l’éthiopien ancien). La chanson-titre, qui glorifiait Haïlé Sélassié Ier, dénonçait la dictature militaire du DERG (au pouvoir de 1974 à 1987) qu’elle comparait au régime actuel, déjà aux affaires. Durant cette période du milieu des années 2000, où le pays était en proie à une crise post-électorale très rude, marquée par une répression sanglante, ce morceau a fait de l’artiste engagé un porte-étendard. En 2006, il a été accusé de délit de fuite dans un accident de voiture ayant causé la mort d’un homme. L’artiste a toujours nié les faits. Pour ses défenseurs, il s’agissait d’un acte de revanche politique.

Toujours est-il que la star condamnée pour homicide involontaire passa dix-huit mois en prison. Aujourd’hui encore, le morceau Yasteseryal fait polémique, à tel point que certains craignent toujours de le diffuser.

« Yasteseryal », la chanson-titre qui glorifie Haïlé Sélassié Ier

Jah Yasteseryal Teddy Afro
Durée : 07:04

En 2014, des activistes de l’ethnie Oromo – qui représente plus de 30 % de la population – ont notamment condamné l’une de ses chansons, Tikur Sew. Cette dernière vante les mérites du roi Ménélik II, le négus victorieux de la bataille d’Adoua, qui a repoussé l’invasion des Italiens en 1896. La raison de leur colère ? Les paroles n’évoquent ni la brutalité de l’empereur dans sa politique d’expansion territoriale ni l’oppression des minorités, notamment des Oromos. Après une campagne sur les réseaux sociaux, appelant à boycotter les produits de la marque Heineken qui sponsorisait son concert, l’événement a finalement été annulé.

Mais c’est avec les autorités, inquiètes de son immense popularité et des messages qu’il peut faire passer, que Teddy Afro a le plus de problèmes. Le 3 septembre, la soirée officielle de lancement de son album a été annulée, tout comme la diffusion de son interview sur une chaîne de la télévision nationale. Quant à son gigantesque concert prévu pour le réveillon du Nouvel An éthiopien, le 10 septembre, il a également été décommandé.