Bambo Sibiya, « Untitled », 2017 (188 x 300 cm). / JACK BELL GALLERY

Pour fêter ses 5 ans à Somerset House, à Londres, du jeudi 5 au dimanche 8 octobre, la foire 1:54 joue sur tous les tableaux. L’audace tout d’abord, avec les photos bigarrées du Marocain Hassan Hajjaj qui véhiculent une image pop et hip-hop de l’Afrique. L’échange culturel en second lieu, avec une immense sculpture en bois du Camerounais Pascale Marthine Tayou qui accueille les visiteurs.

Lancé en 2013, ce salon dédié à l’art du continent africain a fait du chemin. La première année, il a profité d’un grand capital sympathie, lié pour une bonne part à l’enthousiasme contagieux de sa fondatrice, la Marocaine Touria El Glaoui. L’année suivante, il a joui d’un effet d’aubaine : lassés par la branchitude de la Frieze Art Fair, à Londres, les collectionneurs cherchaient autre chose à se mettre sous la dent. Cette autre chose, ils l’ont trouvée chez des artistes africains qui ne s’alignent pas sur les codes rebattus de l’art contemporain occidental et tentent d’inventer leur propre voie.

Avec 17 000 visiteurs au compteur en 2016, la fréquentation de 1:54 a plus que doublé en cinq ans, tout comme le nombre de ses exposants. La foire a offert un tremplin à de toutes jeunes galeries comme l’éthiopienne Addis Fine Art ou la ghanéenne 1957. « Ma carrière a décollé avec 1:54, abonde Mariane Ibrahim, galeriste de Seattle. Pendant longtemps, ceux qui défendaient l’art africain se sentaient isolés. Ici, j’ai rencontré d’autres galeries. 1:54 a créé une communauté, presque une famille. »

Coupures et coutures

Avec un panel de 42 exposants, la cuvée londonienne 2017 a fière allure. Certaines galeries ont mis les petits plats dans les grands. Elles le savent, la foire est l’occasion de rencontrer des commissaires d’exposition réputés. Des émissaires d’une trentaine de musées internationaux ont promis de passer.

Pour sa première participation, la galerie MOMO, de Johannesburg, a installé une immense sculpture de Mary Sibande représentant un avatar de l’artiste en domestique. L’Atelier 21, de Casablanca, orchestre un superbe show de la Marocaine Safaa Erruas, avec des dessins tout en sutures, coupures et coutures symbolisant des plaies non cicatrisées.

Ces blessures sont aussi au cœur des collages de Godfried Donkor présentés par la galerie 1957. L’artiste d’origine ghanéenne s’est réapproprié des illustrations réalisées au XIXe siècle par le Britannique Thomas Edward Bowdich. Les dessins semblent exotiques à l’extrême ? Pour Donkor, pas grand-chose n’a changé dans les relations entre l’Occident et l’Afrique. L’exploitation a juste pris un autre visage, celui des courbes et des diagrammes de la finance.

Cette année, le contingent maghrébin s’est renforcé avec l’arrivée de la galerie tunisienne El Marsa. « Jusqu’à présent, on s’était positionnés du côté du monde arabe en ouvrant une galerie à Dubaï. Mais la Tunisie peut profiter de l’engouement pour le continent africain », confie sa codirectrice, Lilia Ben Salah.

Sa compatriote Aïcha Gorgi avait déjà franchi le pas en 2016. Elle récidive, malgré la chute du dinar qui rend tout déplacement très onéreux. « J’ai tout mis dans le salon parce que j’y crois, lance-t-elle avec fougue. C’est une occasion formidable de montrer une génération d’artistes tunisiens qui n’est pas visible par rapport à ceux d’Afrique subsaharienne. »

La Tunisienne Aïcha Snoussi dessine des formes troublantes dans de vieux cahiers d’écolier. / AÏCHA SNOUSSI

Des artistes jeunes et talentueux comme la Tunisienne Aïcha Snoussi, née en 1989. Depuis deux ans, cette jeune femme collecte de vieux cahiers d’écolier chez les grossistes. Elle y dessine des formes troublantes, organiques et mécaniques à la fois, porteuses d’une sexualité ambiguë et dont le prix modique (550 euros) devrait séduire les jeunes collectionneurs.

Bouture à Marrakech

Même les galeries qui disposent déjà d’un solide socle de collectionneurs et de connexions avec les musées se sont renouvelées. Le Londonien Jack Bell présente ainsi un immense dessin au fusain sur toile du jeune artiste sud-africain Bambo Sibiya. « Les visiteurs de la foire ont besoin d’être surpris, confie le galeriste. Ils ont faim de nouveauté. »

Touria El Glaoui l’a bien compris. Après avoir planté voilà trois ans une bouture d’1:54 à New York, elle ancrera sa foire à Marrakech en février 2018. Au menu, 17 participants, dont les galeries Tiwani Contemporary, de Londres, et A-Magnin, de Paris, mais aussi des partenariats avec des structures locales comme le musée Yves-Saint-Laurent et le Musée d’art contemporain africain Al-Madeen (Macaal). « C’est proche de l’Europe et des Etats-Unis, il n’y a pas besoin de visa, pas de problème de vaccins. Marrakech, c’est le meilleur endroit en Afrique pour lancer une foire », observe Touria El Glaoui.