Les autorités marocaines ont fait taire la rue à Al-Hoceima, mais les procès de militants qui s’ouvrent sont une nouvelle épine dans le pied du pouvoir. Mardi 3 octobre, une deuxième audience s’est tenue devant la cour d’appel de Casablanca pour juger une vingtaine de militants et sympathisants du Hirak, le nom donné au mouvement de contestation sociale né en octobre 2016 dans la région du Rif (nord).

Depuis le mois de mai, date de début des arrestations, plus de 300 personnes ont été interpellées. Selon un rapport de l’ONG Human Rights Watch (HRW), au 5 septembre, 216 personnes étaient toujours derrière les barreaux : à Casablanca, 47 sont en attente de jugement ; à Al-Hoceima, 169 sont en attente de jugement ou déjà condamnées. Les verdicts qui tombent sont parfois durs. Le 30 août, neuf manifestants ont été condamnés à des peines allant d’un an à vingt ans de prison ferme. La plus sévère a été prononcée contre un garçon de 18 ans, condamné pour l’incendie d’une résidence policière qui n’avait pas fait de victime, mais avait frôlé le drame selon les autorités.

Les détenus qui ont été transférés à Casablanca – principalement ceux considérés comme les cadres du mouvement – font face à des accusations très lourdes d’« atteinte à la sécurité intérieure de l’Etat », de « tentatives de sabotage, de meurtre et de pillage » ou de « conspiration contre la sécurité intérieure », des chefs d’inculpation passibles de peines allant jusqu’à vingt ans de prison.

Liberté provisoire refusée

Parmi les personnes poursuivies figurent des journalistes. Le cas le plus médiatisé est celui de Hamid Al-Mahdaoui, directeur du site d’information arabophone Badil. info, connu pour ses prises de position virulentes contre le pouvoir. D’abord condamné à trois mois de prison pour « incitation à manifester », il a vu sa peine alourdie en appel à un an de prison.

Il a lui aussi comparu ce mardi pour « manquements à son obligation de porter à la connaissance des autorités une tentative de nuire à la sécurité intérieure de l’Etat », un délit passible de cinq ans de prison. « Des accusations qui pourraient prêter à sourire pour un journaliste qui n’a fait que son métier, estime l’un de ses avocats, Me Hadache. Et pourtant je suis inquiet, car si la raison primait dans cette affaire, M. Mahdaoui serait chez lui ». Selon son client, ces accusations ont pour objectif de « le faire taire et de l’écarter du Hirak ».

Le procès des 21 militants a été reporté au 17 octobre après que leurs avocats eurent dénoncé la présence de caméras de la télévision publique jugée partiale. « Une des pièces maîtresses pour que le procès soit équitable, c’est que toute la presse soit présente, notamment la presse internationale », argumente Me Hadache qui fait partie du collectif de défense des détenus du Hirak, dont les membres ont aussi demandé la remise en liberté provisoire de leurs clients le temps de leur procès, une requête refusée par la cour.

Près d’un an après le début du mouvement provoqué par la mort d’un vendeur de poisson à Al-Hoceima, les manifestations ont quasiment cessé dans le Rif. Les arrestations, le déploiement d’importantes forces de police et les promesses de projets de développement en faveur de cette région enclavée ont eu raison des contestataires, mais le pouvoir doit désormais gérer la publicité autour du sort des détenus.

Grèves de la faim

Dans le box des accusés figurent en effet des personnalités connues du mouvement comme Nabil Ahemjik ou Mohamed Al-Asrihi. Aux abords du tribunal, mardi, une quarantaine de personnes a organisé un sit-in pour réclamer leur libération. Une nouvelle manifestation de soutien aux détenus doit avoir lieu dimanche 8 octobre à Casablanca.

Fin septembre, l’Observatoire marocain des prisons s’était dit très inquiet pour certains détenus en grève de la faim dont ceux transférés d’Al-Hoceima à Casablanca, Fès, Taza et Taourirt. Dans son communiqué, l’ONG appelait l’administration pénitentiaire à « ne pas faire pression sur les grévistes et à ne pas les menacer ».

« Nous ne pouvons pas donner de chiffres précis mais nous savons que plusieurs détenus sont en mauvais été de santé », souligne Abdallah Mouseddad, secrétaire général de l’Observatoire. Le nombre de 37 grévistes de la faim a été avancé du côté des familles de détenus et de certains avocats, mais seuls quatre cas ont été confirmés par des sources proches de l’administration pénitentiaire et du Conseil national des droits de l’homme (CNDH). « On sait que ces quatre-là ne prennent plus d’eau non plus », précise M. Mouseddad. Le journaliste Hamid Al-Mahdaoui a lui aussi refusé de s’alimenter pendant quatorze jours. « Nous l’avons convaincu d’arrêter, qu’il fallait rester en bonne santé pour pouvoir se défendre », précise Me Hadache.

Et le plus délicat reste à venir : le procès du leader du mouvement, Nasser Zefzafi, 39 ans, figure charismatique, dont la date de jugement n’a pas encore été annoncée.