Mickaël Gelabale lors des JO de Rio. / MARK RALSTON / AFP

Alors que les basketteurs français en activité brillent à l’étranger, que ce soit en NBA ou dans les grands clubs européens, de Barcelone à Moscou en passant par Milan, le constat est plus amer à l’intérieur de nos frontières. Une cinquantaine de basketteurs sont au chômage, une situation récurrente. Dans la liste éditée par le Syndicat national des basketteurs professionnels (SNB), certains noms surprennent : Aldo Curti, rodé aux joutes d’Euroligue et d’Eurocup, Mickaël Gelabale, l’un des plus gros palmarès de l’histoire du basket tricolore ou encore l’ex-international Ali Traoré. Une situation que ce dernier vit difficilement. « Quand tu vois les copains qui reprennent la saison, ça démange », nous confie le joueur de 32 ans.

« C’est vraiment compliqué, même pour rester en forme. Il y a parfois un peu de blues. Et c’est accentué par le fait que tout le monde a repris. »

Son cas n’est pas isolé. Dans leur viseur, la hausse du nombre de joueurs étrangers dans les effectifs. Dans la France du basket, le plombier polonais est en fait américain, la conséquence d’un changement de réglementation de la Ligue nationale de basket. Jusqu’en 2016, l’instance imposait la présence de cinq joueurs formés localement* (JFL) minimum en proA et six en proB. A la suite d’une plainte de l’agent français Pascal Lamy auprès de la Commission européenne, ces quotas ont été abaissés d’un élément par division. Dans une équipe les étrangers peuvent donc être majoritaires. Les derniers chiffres officiels remontent à la saison 2015-2016 où la proportion d’étrangers était de 55 %, dont 71 % d’Américains.

Des jeunes basketteurs à l’horizon bouché

S’ils sont conscients que la loi prime, les joueurs reprochent aux clubs de s’en tenir au minimum syndical. En guise de justification, les clubs opposent souvent des meilleures performances des joueurs américains pour des revendications salariales moindres. Par le passé, les équipes françaises solides au niveau européen, comme Villeurbanne en 1997, Limoges en 2000 ou plus récemment Strasbourg en 2016 se sont pourtant appuyées sur une proportion importante de joueurs français ou formés localement. D’ailleurs, Vincent Collet, sélectionneur de l’équipe de France et coach de Strasbourg, reconnaît leur importance dans un collectif :

« Si vous voulez prétendre au titre en championnat de France, vous ne pouvez pas le faire uniquement avec une ossature américaine, il vous faut des JFL compétitifs, c’est le b.a.-ba. »

Selon une étude du SNB portée sur la proB, les contraintes imposées aux clubs pour favoriser le développement des jeunes pousses (un centre de formation agréé ou la présence d’au moins quatre éléments de 23 ans dans l’effectif professionnel) n’ont pas l’effet escompté. Pour un petit prodige comme Sekou Doumbouya (16 ans) qui s’éclate à Poitiers, nombreux sont ceux qui cirent le banc. Par conséquent, s’ils ne jouent pas, quel horizon professionnel s’offre à eux ? « Il y a cinq, six ans, très peu de joueurs français se retrouvaient sur le carreau. Aujourd’hui, ce qui m’effraie, c’est l’âge de ces joueurs », prévient Olivier Mazet. « A partir du moment où ils dépassent l’âge de 23 ans, leur cote baisse et ils se retrouvent sur le carreau car les clubs les prennent uniquement pour ne pas payer d’amende. Quand ils sortent de cette protection d’âge, c’est la douche froide et ils retombent dans la précarité. »

Même avec le soutien de l’assurance-chômage, des difficultés matérielles ne sont pas exclues. Fort de son statut, Ali Traoré tient à préciser qu’il n’est pas « le plus mal loti » mais les situations sont disparates : en proA, le salaire moyen brut mensuel est d’environ 11 000 euros mais la rémunération minimale prévue pour les joueurs de première année professionnelle ne dépasse pas 20 000 euros brut par an. Quant à la division inférieure, le salaire moyen émarge à 4 500 euros brut, des rémunérations certes plus confortables que le salaire moyen français mais bien inférieures à celles de Ligue 1 et de Ligue 2 en football (respectivement 50 000 et 15 000 euros brut) ou même du Top 14 en rugby (environ 16 500 euros brut). D’après Jean-François Reymond, l’actuel directeur du Syndicat national des basketteurs, certains joueurs se retrouvent ainsi fragilisés. « Il y a des joueurs en galère », confie-t-il. « Un joueur est venu au camp des basketteurs au chômage à Paris, cela fait deux saisons que c’est l’enfer pour lui et il a pourtant été meneur en Euroligue. Psychologiquement, c’est difficile. A 30 ans, il se demande ce qu’il va faire de sa vie, s’il continue ou non. Ce sont de vraies questions que les mecs se posent. »

Un problème d’identification du public

Deuxième sport collectif en termes de licenciés en France, le basket est pourtant relégué loin derrière le rugby, et bien évidemment le football, en termes d’exposition médiatique. Commentateur historique de la discipline, David Cozette déplore lui aussi la faible présence des joueurs formés localement sur les terrains. « J’ai la nostalgie de l’époque où il n’y avait que deux joueurs américains, souvent très forts parce qu’une part importante du budget leur était octroyée. » se souvient la voix de SFR Sport. « Là, ça me gêne quand je vois des Américains “anecdotiques” dans certains clubs. C’est délicat pour l’identification pour les gens qui suivent la proA et je pense que c’est un problème majeur. » Pour ne rien arranger, saison après saison, les effectifs se suivent et ne se ressemblent en rien. D’après le Syndicat des basketteurs, le taux de renouvellement des équipes a atteint 64 % la saison passée.

Certains clubs accumulent les joueurs étrangers, parfois sans véritable supervision en amont. En cas de mauvaises performances, ces joueurs cèdent plus aisément aux propositions de rupture de contrat. Ils incarnent des variables d’ajustement. « Souvent, les Américains sont des paris », admet Vincent Collet. « Quand les clubs les prennent sans trop les connaître, il y a toujours l’espoir que les mecs vont donner des performances. Quand ça ne marche pas, on revient effectivement en arrière car on peut le faire. »

Le tacticien est l’un des rares à son poste à assumer un rôle de formateur au sein de ses équipes. Au Mans, à Villeurbanne ou à Strasbourg, il s’est toujours efforcé de s’appuyer sur un noyau dur de joueurs français ou formés localement. Au fil des années, Nicolas Batum, Yannick Bokolo, Alain Koffi, Ali Traoré, Jérémy Leloup, Paul Lacombe ou le futur joueur des Knicks, Frank Ntilikina, sont tous passés entre ses mains.

L’équipe de France impactée

Le basket hexagonal se retrouve ainsi dans « un système complètement malade », selon Olivier Mazet, avec des conséquences potentiellement désastreuses. D’une part, une transition de plus en plus compliquée des jeunes formés vers le monde professionnel ; d’autre part, à un échelon supérieur, l’affaiblissement de l’équipe de France. En effet, un nouveau calendrier international instaure des fenêtres de qualification pour la prochaine Coupe du monde en cours de saison, ce qui rend difficile, voire impossible, la présence des joueurs NBA, d’Euroligue et d’Eurocup. Or, tous les derniers internationaux tricolores joueront ces compétitions, à l’exception de Boris Diaw, nouvellement arrivé au Paris-Levallois, et Louis Labeyrie.

Sans ses meilleurs éléments, Vincent Collet devra donc puiser dans un réservoir de joueurs du championnat de France, une tâche compliquée s’ils n’occupent pas de rôle majeur dans leur club. « Ça, c’est un problème pour la Fédération française : on ne se plaint pas de cette situation dans notre seul intérêt », assure le joueur Edouard Choquet.

« Ce qu’il va se passer, c’est que l’équipe de France va devenir de plus en plus faible. »

Afin d’amorcer un changement de fond, l’Union des joueurs professionnels prône l’instauration de neuf contrats professionnels par effectif, contre huit aujourd’hui. Dans le même temps, la Ligue nationale de basket a annoncé un plan de développement à la suite d’un rapport réalisé par Didier Primault, ancien président du SNB et directeur général du Centre de droit et d’économie du sport, à Limoges. En attendant, Mickaël Gelabale et Ali Traoré continuent de s’entraîner dans les gymnases parisiens dans l’espoir d’un coup de fil.

* Joueurs licenciés au moins quatre saisons en France entre leur 12 et 21 ans.