Beatrice Fihn (à gauche), directrice exécutive de l’ICAN, et Daniel Hogsta (au centre), coordinateur de l’ICAN, durant une conférence de presse donnée au siège de l’ICAN, à Genève, le 6 octobre. / Martial Trezzini / AP

Le prix Nobel de la paix 2017 a été décerné, vendredi 6 octobre, à la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (International Campaign to Abolish Nuclear Weapons, ICAN) pour ses efforts contre ces armes de destruction massive, au cœur de tensions internationales en Iran et en Corée du Nord. Dans un tchat, Marc Semo, correspondant diplomatique au Monde, a répondu aux interrogations des internautes.

Felipe : Dans un monde où toutes les institutions sont contestées, le Nobel continue-t-il de faire autorité, selon vous ?

Marc Semo : Le prix Nobel a une portée morale qui reste forte même si elle varie selon les prix… plus contestée en littérature que sur la physique ou la médecine. Elle est cependant toujours bien réelle pour le prix Nobel de la paix, qui a déjà souvent récompensé des acteurs engagés dans la lutte contre la prolifération comme l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en 2005.

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Tricotons : La dénucléarisation est-elle un objectif réaliste ?

Marc Semo : L’idée des promoteurs de la campagne d’interdiction est de rendre la possession de l’arme nucléaire honteuse pour les pays qui en sont dotés et qui, ne signant ni ne ratifiant le traité d’interdiction décidé en juillet par 122 pays, ne sont pas tenus d’en appliquer les clauses. C’est la même stratégie de la stigmatisation qui a été utilisée dans les conventions pour l’interdiction des mines antipersonnelles.

Mais il est peu probable que cela fonctionne pour le nucléaire, considéré comme un élément central dans la stratégie des pays qui possèdent l’arme nucléaire (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU) ou illégalement (Inde, Pakistan, Israël, Corée du Nord), mais aussi pour les pays qui bénéficient du parapluie nucléaire américain, ceux de l’OTAN, mais aussi le Japon, qui s’est refusé à signer le traité.

Face aux dangers de la prolifération rappelés par la Corée du Nord, la possession de l’arme nucléaire ou la garantie d’être protégé par celle de Washington reste essentielle.

Josh : Pouvez-vous donner des détails sur ce fameux traité sur l’interdiction des armes nucléaires signé à l’ONU ? Que dit-il ?

Marc Semo : Ce texte de dix pages interdit « en toutes circonstances de développer, tester, produire, acquérir, posséder ou stocker des armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs ». Il se base avant tout sur un argumentaire moral : toute utilisation des armes nucléaires aurait « des conséquences inhumaines » alors même que de telles armes ne servent pas à grand-chose face aux nouvelles menaces – dont le terrorisme – qui pèsent sur leurs détenteurs.

- Geoffrey : Bonjour, le comité du prix Nobel n’affaiblit-il pas cette distinction en l’attribuant à une coalition, dont le seul résultat est un traité qui n’aura aucun effet autre que symbolique, en lieu et place de récompenser des personnes ou une organisation dont les actions auront réellement contribué à la paix ou à venir au secours de personnes victimes de conflits armés (casques blancs en Syrie, etc.) ?

-Pax Questionus : Bonjour, le prix Nobel m’a toujours semblé récompenser des individus (un ou plusieurs), est-ce courant qu’une personne morale reçoive ce genre de prix? Cela ne va-t-il pas à l’encontre du principe même de la distinction ?

Marc Semo : Il y a déjà souvent eu des organisations récompensées, de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) en passant par Médecins sans frontières. Et il leur est déjà arrivé, notamment en attribuant le Nobel à Barack Obama avant même qu’il ait fait quoi que ce soit de concret pour le mériter, de céder à un désir de com’ et à la pression de l’opinion publique sans récompenser une vraie action concrète. Cela peut faire penser au pacte Briand-Kellogg, entré en vigueur en juillet 1929 pour rendre la guerre illégale…

- Yannick : L’attribution de ce Nobel n’est-t-elle pas uniquement guidée par l’idée de faire peser les négociations avec la Corée du Nord ? D’autres organisations n’étaient-elles pas plus méritantes ?
-Joseph : Qui doit se sentir le plus titillé par ce prix ? Trump ? Macron ? Kim Jong-un ?

Marc Semo : Le comité Nobel a surtout, je crois, voulu rappeler une urgence. C’est d’ailleurs ce que dit la présidente du comité : « Nous vivons dans un monde où le risque d’une utilisation des armes nucléaires est plus grand qu’il ne l’a jamais été depuis longtemps. » Et on ne peut leur donner tort quand on voit la fuite en avant du régime de Pyongyang défiant Washington, qui menace de les anéantir mais aussi de remettre en cause l’accord de 2015 avec Téhéran mettant sous contrôle pour dix ans son programme nucléaire.

Pax questionus : Dans la mesure où les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU sont dotés de l’arme nucléaire, cela ne rend-il pas vain tout espoir de voir un jour l’arme nucléaire définitivement bannie de notre société ? On voit mal ces cinq Etats se priver de leur principale force de dissuasion/négociation…

Marc Semo : Absolument… Mais les plus optimistes espèrent que, comme pour les armes chimiques ou biologiques – finalement totalement interdites respectivement en 1993 et 1972 –, arrivera le moment où il deviendra honteux de détenir l’arme nucléaire, qui reste la seule arme de destruction massive encore légale au regard du droit international.

ColdFact : Par le passé, le système nucléaire était supposé tenir par la dissuasion entre les pays détenteurs de l’arme. Aujourd’hui, le risque d’une utilisation de l’arme paraît plus important. Cela rend-il, selon vous, plus nécessaire ou moins nécessaire pour un pays de la posséder ?

Marc Semo : Les partisans de l’interdiction clament à raison que le traité de non-prolifération (TNP) n’a pas tenu ses engagements d’aller vers un monde sans les armes nucléaires, même s’il a plus ou moins évité une prolifération sauvage. Mais on ne voit pas comment ce traité-là impressionnerait les Etats du type Corée du Nord qui veulent s’en doter à tout prix. Et il est donc nécessaire de garder les moyens de leur répondre.

Tarass : Le précédent ukrainien ne devrait-il pas inciter quiconque à dénucléariser ? Kiev a accepté en 1994 de rendre les armes nucléaires qui étaient sur son sol en échange d’une garantie de ses frontières par plusieurs pays, dont la Russie. On connaît la suite…

Marc Semo : C’est une très bonne remarque. C’est encore plus vrai pour des dictateurs comme Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi qui, en abandonnant contraints et forcés le nucléaire, ont ensuite perdu le pouvoir. Le leader nord-coréen, Kim Jong-un, voit donc dans le nucléaire une assurance-vie pour son régime.

Rocket man : N’y a-t-il pas une grande hypocrisie de la part des dirigeants occidentaux ? On se souvient de Barack Obama qui avait obtenu le prix Nobel de la paix pour son engagement en faveur de la non-prolifération, mais dans les faits, il avait accentué la politique militaire nucléaire de son pays…

Marc Semo : Le problème, ce ne sont pas les Occidentaux mais le comité Nobel, qui avait récompensé Obama sur des mots et une image et sans aucun fait précis…

-Nobel no gain : L’attribution du prix Nobel à l’ICAN s’accompagne-elle d’un coup de pouce financier pour cette association ?
-Josh : Bonjour, quel est le « prix » à proprement parler ? Y a-t-il une dotation pour le prix Nobel ?

Marc Semo : La dotation de ce prix se situe aux alentours d’un million d’euros. Obama en avait reversé l’intégralité à des organisations caritatives. L’ICAN a indiqué se réjouir des nouveaux moyens dont ils pourront disposer pour continuer à mener leur bataille.