Documentaire sur KTO à 20 h 40

"Mon Père, je vous pardonne" - Bande annonce
Durée : 00:26

Pendant quatre ans, de l’âge de 9 ans à l’âge de 12 ans, Daniel Pittet a « vécu une misère noire ». Sous couvert de l’accompagner spirituellement, un frère capucin de Fribourg, en Suisse, l’a violé à d’innombrables reprises et l’a tenu sous sa coupe. Daniel Pittet a raconté cette enfance dévastée dans un livre paru en février, Mon père, je vous pardonne (Philippe Rey, 220 pages, 18 euros). La préface lui a permis de trouver un écho considérable : elle est du pape François.

La chaîne de télévision catholique KTO consacre à Daniel Pittet un documentaire sans fard sur les responsabilités internes de l’Eglise dans le parcours pédophile du père Joël Allaz. A 58 ans, Daniel Pittet raconte les mécanismes de sa sujétion à ce prêtre, ses supérieurs qui savent mais détournent le regard, la mère qui ne veut pas voir, sa certitude qu’on ne le croira pas. Seule une grand-tante lui viendra en aide. Supérieure ­générale des sœurs de Saint-Paul, un couvent où l’enfant est placé un temps, elle comprend que le petit va mal. Un jour, elle l’interroge sur ce qu’il fait trois jours par semaine chez le prêtre. « Ma tante, je ne peux pas vous le dire. » « Eh bien, tu n’iras plus. Va le lui dire tout de suite. » L’enfant y va, se fait « violer pour la dernière fois » et s’entend dire par le capucin : « Tu ne m’intéresses plus de toute manière. Tu peux aller chez un autre confrère. » Et il lui donne le nom de ce « confrère ».

Mécanismes de déni

Suivent des années d’occultation des violences subies et d’intense mal-être. Un jour, en 1989, il croise un enfant de 8 ans qui « n’a pas l’air d’aller fort ». « Il y a quelqu’un qui touche ton zizi ? », lui demande-t-il. L’enfant répond oui. C’est le père Joël Allaz. Pour Daniel Pittet, qui croyait être la seule victime, comme bien des enfants abusés, « c’est un coup de tonnerre ». Il fonce à l’évêché, parle de l’enfant, de son propre passé, et menace la hiérarchie : « Si vous ne faites rien, c’est moi qui déposerai plainte. » On l’interroge sur son histoire. Il est alors contraint « d’ouvrir [s]a tombe » et de se remémorer tout au cours de « semaines horribles ». On lui promet d’écarter le prêtre coupable et de le faire soigner.

Daniel Pittet dans « Mon père, je vous pardonne », de Philippine de Saint-Pierre. / KTO

En fait, Joël Allaz est seulement déplacé. Et pendant des années, il continue d’agresser des enfants. Il reconnaîtra plus tard en avoir violé plus de 40 au cours de sa « carrière », qui le conduira aussi en France, à Grenoble. Daniel Pittet apprend, en 2002, que le prêtre est toujours en activité et qu’il a récidivé. Il comprend que la hiérarchie lui a menti. Il commence à témoigner dans les médias suisses, d’abord à visage couvert.

Le film met en lumière les mécanismes de déni propres à l’Eglise. Un prêtre, Joël Pralong, spécialiste des questions de pédophilie, y témoigne qu’au sein de l’Eglise, « on a peur » de ce sujet. L’auteure du film, Philippine de Saint-Pierre, directrice générale de KTO, assume ce point de vue : « Oui, l’Eglise a mal géré ces affaires pendant des décennies, oui, il faut avancer. » C’est justement pour cela que la chaîne catholique a décidé de réaliser et de produire entièrement ce documentaire. « Chez les catholiques, explique Philippine de Saint-Pierre, il y a parfois la tentation de dire que ce sujet est une arme utilisée par des médias qui n’ai­ment pas l’Eglise. Nous, nous aimons l’Eglise, c’est pour cela que nous avons voulu le faire. Nous sommes dans une démarche ­ecclésiale de vérité. » Daniel Pittet est demeuré un fervent croyant et un catholique actif. « Il n’est pas dans une démarche de haine. On ne peut pas l’utiliser pour décré­dibiliser son témoignage », ajoute la journaliste.

Mon père, je vous pardonne, de Philippine de Saint-Pierre (Fr., 2017, 53 min).