En 1876, préfaçant l’ouvrage de Charles Barthélemy (1825-1888), Erreurs et mensonges historiques, dont un tiers est consacré à réfuter les allégations du « parti protestant » sur les prétendus malheurs ayant suivi la révocation de l’édit de Nantes en 1685, le pape Pie IX (1792-1878) donne sa bénédiction apostolique à l’auteur en commençant par ces mots : « Depuis longtemps la peste du mensonge a envahi non seulement les journaux mais encore l’histoire elle-même. » Les querelles autour de l’histoire ne datent pas d’hier, et périodiquement elles renaissent.

Déjà, en 1979, Alain Decaux (1925-2016), l’historien « conteur » qui a fait aimer l’histoire aux téléspectateurs du petit écran en noir et blanc, s’indignait : « On n’apprend plus l’histoire de France. » Aujourd’hui, la charge est plus forte : le multiculturalisme aurait gagné l’école, on enseignerait à être des « citoyens du monde » plutôt que « des citoyens aimant la France ». Et le débat public s’enflamme. Robespierre est-il un fou sanguinaire ou « le fondateur de nos libertés » ? Jeanne d’Arc est-elle une icône catholique et royaliste, républicaine ou, de manière plus originale, une égérie de toutes les révoltes ? La colonisation a-t-elle eu « un rôle positif » ou bien a-t-elle été, dans le cas de l’Algérie, « un crime contre l’humanité » ? Et peu importe si l’historiographie a évolué, une histoire figée dans le manuel d’Ernest Lavisse (1842-1922) devrait être le socle de connaissances de nos élèves. Sinon, la France et son histoire vont disparaître dans un grand chaudron mondialisé dont on sortira un enseignement qui professe aux enfants la haine de la France. Et comme les Français sont un peuple querelleur, ces débats nourrissent articles, livres et émissions de télévision avant d’être tranchés dans certains cas sous forme de textes de loi.

Tentatives conciliatrices d’Emmanuel Macron

Face à ce vent mauvais, Histoire mondiale de la France, l’ouvrage dirigé par Patrick Boucheron (Seuil, 800 p., 29 euros), était la réponse d’une jeune génération d’historiens. L’objectif a été atteint avec le succès public de cette histoire globale à la française malgré un déluge d’insultes venant des tenants de l’histoire « identitaire ». Quant aux tentatives conciliatrices du nouveau président de la République, Emmanuel Macron, féru d’histoire, de rapprocher les deux camps, elles sont jugées comme « démiurgiques » par l’historien Jean-Noël Jeanneney que nous avons interrogé.

Nous avons préparé ce nouveau hors-série en écho à la 20e édition des Rendez-vous de l’histoire de Blois, en explorant ces « querelles de l’histoire », en France, mais aussi dans le monde autour des avancées de l’histoire globale et en Europe, où se construit difficilement « une histoire commune » autour des lieux de mémoire pour faire pièce à la résurgence des nationalismes. Mais aussi dans le domaine des sciences où Cédric Villani, mathématicien, observe « des désenchantements un peu partout en Europe autour du progrès » alors que Faouzia Charfi, physicienne et professeure à l’université de Tunis, dénonce « une science voilée » dans le monde musulman où les jeunes ne croient qu’aux « miracles scientifiques du Coran ». A croire que nous sommes entrés, comme l’explique Etienne Anheim, historien et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, « dans un temps de scepticisme vis-à-vis de l’histoire et de la science ».

« Les Querelles de l’histoire ; France, monde, sciences », un hors-série du « Monde », 100 p., 8,50 euros, en kiosque et sur boutique.lemonde.fr