Suppression de 120 000 postes d’ici à la fin du quinquennat, gel des rémunérations, rétablissement du jour de carence, remise en cause de leur statut… Des soignants aux enseignants, des ministères aux collectivités, 400 000 agents publics, selon les premières estimations de la CGT, ont fait grève et manifesté dans toute la France, mardi 10 octobre, contre une « série d’attaques » inédites du gouvernement à leur égard.

Un contenu de cette page n'est pas adapté au format mobile, vous pouvez le consulter sur le site web

« Ras-le-bol »

« Macron regarde ta Rolex, c’est l’heure de la révolte » : à Saint-Nazaire, Nice ou ailleurs, le président Macron était souvent la cible du mécontentement dans les cortèges qui dénonçaient un « ras-le-bol » général, à l’appel des neuf fédérations de fonctionnaires (CGT, CFDT, FO, UNSA, FSU, Solidaires, CFE-CGC, CFTC et FA). Pour la première fois depuis 10 ans, les trois versants de la fonction publique (Etat, hospitalière, territoriale) étaient réunis.

« La fonction publique : une richesse pour tou.te.s, pas un coût ! » ou « Hôpital en état d’urgence », pouvait-on lire parmi les slogans à Nantes où les manifestants étaient entre 5 500 et 8 000.

A Paris, Marie Rimbaut, professeure de français au collège Jean-Jaurès, situé à Pantin (Seine-Saint-Denis) et classé en REP +, a manifesté aujourd’hui, car elle se sent « dévaluée par le gouvernement et par les mesures qu’il prend », même si elle se doutait « qu’avec Macron les choses n’iraient pas mieux ».

« On s’occupe d’enfants difficiles et il n’y a aucune considération. On est livré à nous-mêmes dans le 93. Les gamins sont abandonnés. On fait comme on peut, mais sans moyen, on ne peut pas faire de miracles. Vingt élèves par classe, c’est toujours trop en REP +. Macron s’est occupé du CP, mais il y a besoin aussi de réduire le nombre d’élèves au collège et au lycée. »

Jacqueline Houplain, qui travaille dans la fonction publique territoriale, regrette pour sa part qu’il y ait « beaucoup de préjugés envers les fonctionnaires ».

« Ils sont souvent pris pour des gens qui profitent, qui sont fainéants. Ils pâtissent beaucoup de ces préjugés alors que ce n’est pas le cas. Je travaille pour une ville où j’accepte des horaires extrêmement souples, il y a une déontologie. »

« La goutte d’eau »

Les premiers décomptes recueillis par les bureaux de l’Agence France-Presse totalisaient plus de 100 000 manifestants dans 26 villes en région selon les syndicats et 55 000, selon les autorités :

  • Ils étaient notamment entre 6 400 à 12 000 à Lyon ;
  • entre 5 000 et plus de 10 000 à Bordeaux ;
  • 3 900 à 9 000 à Rouen ;
  • 1 400 à 3 000 à Saint-Denis de la Réunion ;
  • à Paris, ils étaient 45 000 selon la CGT, 26 000 selon la Préfecture de police. Le 16 septembre, ils étaient 24 000, selon la préfecture, à défiler contre la réforme du code du travail.

Au total, la fonction publique compte 5,4 millions d’agents.

Le premier ministre Edouard Philippe a dit « assumer pleinement les mesures prises », assurant que les fonctionnaires n’étaient « pas du tout déconsidérés » et « même essentiels dans le fonctionnement de notre pays ».

Pour Mylène Jacquot (CFDT), l’absence de hausse du pouvoir d’achat, une promesse de campagne « pas tenue » par Emmanuel Macron, est « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », auprès des fonctionnaires.

« On ne discute plus »

Ce rassemblement unitaire « reflète plus qu’un malaise dans les fonctions publiques », a déclaré le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly, qui défilait à Lyon. « Il n’y a déjà pas assez d’effectifs et on veut encore en supprimer », a lancé le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, à Paris. Les fonctionnaires, « souvent traités de feignants et de profiteurs », ont « besoin de respect », a-t-il ajouté.

La grève se traduisait par des fermetures de crèches, d’établissements scolaires – où le service minimum, prévu par la loi, n’est pas toujours assuré – et de nombreux services publics.

  • Le ministère de l’éducation nationale annonçait 17,5 % de grévistes chez les enseignants, plus nombreux dans le primaire (20 %) que dans le second degré (16 %), tandis que la FSU évoquait 50 % de grévistes dans le primaire ;
  • Les syndicats avançaient un peu plus de 12 % de grévistes à Pôle emploi ;
  • Dans le ciel, 30 % des vols ont été annulés préventivement en raison de la grève des agents de l’Aviation civile, qui emploie majoritairement des fonctionnaires.

Un rendez-vous salarial aura lieu le 16 octobre, a annoncé le ministre chargé de la fonction publique, Gérald Darmanin, répétant qu’« aucun agent public ne verra son salaire baisser ».

« 200 personnes potentiellement à risque »

Malgré quelques scènes de violence, les manifestations se sont globalement déroulées dans le calme. A Rennes, quelques centaines d’étudiants encagoulés ont pris la tête du cortège en fin de matinée après des échanges tendus avec les représentants de la CFDT.

A Paris, plusieurs dizaines de personnes cagoulées et vêtues de noir ont pris mardi pour cible plusieurs agences bancaires sur le parcours de la manifestation des fonctionnaires contre « les attaques » du gouvernement à Paris.

Un groupe de « 200 personnes potentiellement à risque » avait été repéré par la police au départ du cortège place de la République. Des échanges de coups ont eu lieu entre « des individus de ce groupe et des membres du service d’ordre de la manifestation », selon la préfecture de police (PP).

Ce qu’il faut savoir sur la fonction publique

Tous les syndicats de fonctionnaires ont appelé à la grève mardi 10 octobre. Mais si l’appel est unitaire, les situations que recouvre la « fonction publique » sont extrêmement diverses.

  • Trois fonctions publiques

– La fonction publique d’Etat (44 %) : ce sont les salariés des ministères, et les seuls à dépendre de l’Etat. La majorité d’entre eux sont des enseignants. Entre 2004 et 2014, elle a perdu près de 10 % de ses effectifs.

– La fonction publique territoriale (35 %) : elle comprend le personnel des collectivités locales (71 % travaillent pour les communes), des structures intercommunales, des établissements publics et des offices publics HLM. En dix ans, elle a porté l’augmentation des effectifs de la fonction publique, avec une hausse de plus de 27 %.

– La fonction publique hospitalière (21 %) : elle agrège les salariés des hôpitaux, des établissements d’hébergement pour personnes âgées et d’autres établissements médico-sociaux. En dix ans, ses effectifs ont augmenté de plus de 10 %.

  • Trois catégories de fonctionnaires

Les agents de la fonction publique sont répartis en trois catégories : A, B et C, en fonction de leur niveau d’étude et de leur niveau de responsabilité.

Dans la fonction publique d’Etat, 55 % des fonctionnaires sont de catégorie A, notamment en raison du nombre important d’enseignants. En revanche, les agents de catégorie C, moins bien rémunérés, représentent 77 % de la fonction publique territoriale et 49 % de la fonction publique hospitalière.

  • Des conditions de rémunération variables

Les fonctionnaires, recrutés sur concours, ont une progression de carrière réglée par les grilles indiciaires qui sont différentes pour chaque métier ou corps de métier. Un fonctionnaire gravit les échelons (dont le nombre varie également) à intervalle de temps compris entre quelques mois et plus de quatre ou cinq ans parfois, pour voir sa rémunération indiciaire augmenter. Elle est plafonnée une fois le dernier échelon atteint.

Les rémunérations comprennent aussi une partie indemnitaire : les primes et indemnités. Là encore, elles sont extrêmement différentes : elles peuvent représenter le tiers de la rémunération d’un gardien de la paix, alors que les enseignants ne sont pas éligibles à la rémunération par prime.