Lors d’un rassemblement à Toulouse, le 8 octobre 2015, pour la défense de l’emploi et la hausse des salaires. / PASCAL PAVANI / AFP

Neuf syndicats de la fonction publique appellent à faire grève et à manifester, mardi 10 octobre. Echaudés par les annonces du gouvernement, les fonctionnaires voient s’éloigner la hausse du pouvoir d’achat promis par Emmanuel Macron et certains craignent l’effet que les nouvelles mesures gouvernementales risquent d’avoir sur leur travail et sur leur quotidien, comme ils l’ont raconté à travers un appel à témoignages lancé sur Le Monde.fr.

« Tous les 1er janvier, mon net diminue, bonne année ! », rappelle ainsi une fonctionnaire de 37 ans, qui travaille dans la recherche publique et qui souhaite rester anonyme. Depuis la réforme engagée par le gouvernement Fillon en 2010, les cotisations retraites augmentent tous les ans et cela fait des années que les fonctionnaires voient s’accumuler les mauvaises nouvelles ; stagnation de leur traitement de base, départs à la retraite non remplacés, manque de perspective dans leur carrière....

« Victimes »

Pendant la campagne présidentielle, le candidat Macron l’avait pourtant promis aux agents publics : « J’augmenterai votre pouvoir d’achat, comme celui des salariés des entreprises. » Les mesures annoncées quelques mois plus tard déçoivent, voire suscitent la colère. Beaucoup de fonctionnaires ayant répondu à notre appel à témoignages disent se sentir « victimes » : « victimes d’un nivellement par le bas des conditions de travail et des droits », comme l’estime François P. ou « victimes expiatoires du nécessaire équilibre des comptes publics », selon Pierre-Yvon L., un cadre territorial de 50 ans qui ne voit aucune différence entre les politiques passées et le « nouveau monde cher à Emmanuel Macron ».

Cadre administratif et membre d’une commission d’attribution d’aides sociales exceptionnelles, Pascal P. fait part, à 53 ans, de son « sentiment d’injustice » devant la « paupérisation des petits fonctionnaires » :

« Je vois des gens, seuls, devant aider ascendants (maisons de retraites si onéreuses) et descendants (sans boulot) tous les jours. (...) Ajoutez à cela le prix de l’immobilier (...) et vous avez des surendettés en masse. »

« Moins de retraite, et plus de CSG »

La hausse de la contribution sociale généralisée (CSG) de 1,7 point prévue dans le budget 2018 ne risque pas d’arranger leur pouvoir d’achat. Si les salariés du privé, comme une grande partie des indépendants, bénéficieront d’une baisse de leurs cotisations qui fera plus que contrebalancer cette hausse, les fonctionnaires devront se contenter d’une stricte compensation. François B., 45 ans, qui participera à la grève, s’énerve :

« M. Macron avait promis une hausse du pouvoir d’achat pour tous les actifs... Les fonctionnaires, c’est bien connu, sont des passifs : pas d’augmentation de salaire pour eux ! Juste une compensation à l’euro près de l’augmentation de la CSG. »

L’idée d’une éventuelle prime visant « à donner l’illusion d’une compensation de la perte de pouvoir d’achat » exaspère Robert H., 58 ans : ces primes ne comptent pas pour la retraite, rappelle-t-il comme beaucoup de ses collègues. « Ce sera donc double peine : moins de retraite, et plus de CSG », résume-t-il.

La valeur du point d’indice, qui sert aux calculs de la rémunération des fonctionnaires, a été augmentée de 0,6 % en février 2017. Mais, comme entre 2011 et 2015, ce point sera de nouveau gelé en 2018, ce qui soulève un profond mécontentement dans la fonction publique et allonge la liste des « efforts durs à avaler » déplorés par Stéphanie T., de Tours. Enseignante détachée à l’université, Marie L. se sent, elle, « déclassée » :

« Si quand j’ai passé le concours, il y a vingt ans, mon salaire me paraissait correct, ce n’est plus du tout le cas actuellement. (...) Outre le blocage de l’indice qui a freiné nos augmentations, à diplôme, formation et compétences égales, nous sommes loin derrière les salaires du privé. »

« Pallier les postes supprimés »

Parmi la dizaine de témoignages recueillis, seul Raphaël B., jeune cadre administratif, est l’un des rares à faire entendre une voix dissonante :

« Le gel du point d’indice n’a que très peu d’effet sur le niveau de vie des fonctionnaires, puisque notre rémunération augmente régulièrement à chaque changement d’échelon (en moyenne tous les deux ans). (...) Un fonctionnaire peut voir sa rémunération croître s’il fait preuve de mobilité. »

L’objectif de suppression de postes fixé par le président de la République – 120 000 postes d’ici à la fin du quinquennat – inquiète, lui aussi. « On nous demande de pallier les postes supprimés et les congés maternité ne sont pas remplacés », s’alarme Julie G., une travailleuse sociale de 25 ans. Dans son service, quatre mois sont nécessaires pour traiter un dossier handicap et six mois pour pouvoir faire intervenir un éducateur : « Nos délais vont encore augmenter, et nous allons perdre en qualité de service rendu », craint-elle.

Moins de postes, au détriment des équipes et des enfants

Même appréhension pour Christiane, une infirmière scolaire intervenant dans sept établissements qui rassemblent près de 1 600 élèves de la maternelle à la classe de 3e. Selon elle, toute suppression de postes se fera « au détriment des équipes éducatives et des enfants » :

« Les problèmes rencontrés à l’école se complexifient, (...) or nous sommes pratiquement les derniers intervenants en primaire puisque les personnels du RASED [réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficultés] sont en train de disparaître. Les enseignants nous demandent de plus en plus souvent de l’aide pour trouver des solutions pour les enfants. »

A ceci s’ajoute dès maintenant la perte d’emplois aidés, comme en témoigne Johan S., enseignant au lycée Saint-Exupéry, dans les quartiers nord de Marseille :

« Surprise de rentrée : perte de 30 postes d’emplois aidés. C’est énorme, d’autant que nous accueillons deux classes de seconde supplémentaires. Les enseignants tentent d’alerter : les surveillants craquent, l’infirmerie est sous pression, les agents ne savent plus où donner de la tête, et la pression dans les classes se fait ressentir par tous. Nous sommes épuisés après seulement un mois de rentrée. »

Après la multiplication des violences dans l’établissement et les réponses officielles « froides et administratives », les personnels exercent leur droit de retrait depuis vendredi pour mise en danger.

Avis partagés sur le rétablissement du jour de carence

Seul le rétablissement du jour de carence ne suscite pas autant de colère que les autres mesures. Mis en place début 2012 sous Nicolas Sarkozy puis abrogé par le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault, ce dispositif prévoit que le premier jour d’un arrêt-maladie ne soit ni rémunéré ni indemnisé.

Thomas R., fonctionnaire territorial, salue une « bonne chose » qui permettra de mettre un terme à des arrêts « fictifs » liés « à une tâche que l’on ne veut pas faire, un changement d’horaire ou un rappel à l’ordre d’un supérieur » et une absence de « contrôle » de la hiérarchie, « bref, beaucoup de laxisme ». Etienne P., cadre dans la recherche publique et Benoît T., directeur général des services dans une collectivité abondent dans le même sens :

« Lorsque le jour de carence avait précédemment été introduit, sur un établissement de 1000 personnes, on avait constaté une baisse de 30 % des congés maladie cette année-là », témoigne le premier.
« Nous n’avions pas observé de hausse des longs arrêts, mais bien une baisse du nombre des petits arrêts », renchérit le second.

Toutefois, certains estiment que ce jour de carence pourrait produire l’effet inverse et les inciter à s’arrêter plus longtemps. Stéphanie L, professeur agrégée de lettres en lycée, ne voudra plus « prendre le risque de revenir trop tôt, d’être de nouveau arrêtée et de payer un deuxième jour de carence ». Sans compter les situations particulières de certains fonctionnaires qui plaident pour des mesures positives afin de « développer le mérite plutôt que le bâton », comme Paul G..

En raison de son handicap, ce fonctionnaire à la direction générale de l’aviation civile doit parfois s’arrêter un jour ou deux. « Le jour de carence risque de fortement impacter mon pouvoir d’achat et me pousser à puiser plus fortement dans ma santé pour ne pas être absent », craint ce francilien de 29 ans.