Sur le site Vox du Figaro est parue le 6 septembre une tribune sous le titre « Défendons nos musées ! » L’auteur, Julien Volper, croit les musées menacés par les demandes de restitution venant de pays africains concernant les objets récoltés pendant l’époque coloniale. A juste titre, l’auteur critique le traitement de cette thématique dans la presse, qui est souvent plus avide de réveiller le sentiment anticolonial que d’offrir des éléments pour une meilleure compréhension de l’histoire du développement des collections de musées. Ceci dit, ses propos sont inutilement polarisants et peu représentatifs de la manière dont les musées ex-coloniaux se positionnent aujourd’hui dans ce débat.

« Universalisme et humanisme »

La vision de Julien Volper semble s’inspirer d’une peur irrationnelle que les musées seraient bientôt « vidés de leurs collections et transformés en tombe ». Le cas le plus récent, et celui qui attise la colère de l’auteur, est la demande de l’Etat du Bénin à la République française concernant des objets conservés au Musée du quai Branly, provenant du pillage dans les années 1890 des collections royales du Dahomey. Il appelle à la résistance contre cette « émanation d’un nationalisme, d’un communautarisme et/ou d’un opportunisme néfaste ». Il désire qu’il soit reconnu que « la constitution en Europe de collections muséales touchant à toutes les époques et à toutes les cultures participe de notre civilisation et de la construction d’une pensée incluant l’universalisme et l’humanisme ». Le lecteur notera la juxtaposition du possessif « notre » à la référence à l’universalisme, qui est aussi contradictoire que révélatrice de la position de l’auteur.

Il suffit de mesurer les chances qu’un pays comme le Bénin puisse construire un Musée de l’Histoire et des cultures du monde pour comprendre que les grandes collections extra-européennes à Paris, Londres, Berlin et ailleurs sont avant tout le produit du colonialisme et de l’impérialisme. L’histoire de leur développement est complexe : croire que chaque objet aurait été retiré violemment reviendrait certainement à surestimer la puissance et l’impact des Etats coloniaux. En revanche, refuser le débat sur les multiples types d’échanges qui ont eu lieu et sur leur légitimité (morale), en renvoyant à un droit de « notre civilisation », serait un choix peu durable pour l’avenir de ces musées. C’est revenir à un langage qui, dans le passé, justifia la colonisation au prix de violences physiques et psychologiques inouïes perpétrées sur les populations africaines, entre autres.

Dialogue et coopération

Ces dernières décennies, des musées à travers l’Europe, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, etc. se sont engagés dans une série de dialogues avec des communautés d’où sont issus les objets de leurs collections, suite ou non à une demande de restitution. Les résultats de ces conversations « difficiles » ont été aussi divers qu’enrichissants. Dans certains cas, des restitutions au sens strict ont été décidées.

Dans d’autres cas, des partenariats ont été noués pour améliorer l’accès aux collections et pour partager la documentation tout en l’élargissant grâce à de nouveaux témoignages. Lors de la célébration du dixième anniversaire du Musée du quai Branly, une table ronde s’est justement consacrée à ces nouveaux échanges (dont les actes sont publiés). La reconnaissance mondiale de la culture en tant que quatrième pilier pour le développement durable (Hangzhou, 2013) renforce le rôle actuel des musées dans le rapprochement des communautés et invite ceux-ci à inventer de nouvelles formes de cogestion des collections muséales.

Pour les musées dont les collections sont inextricablement liées à l’histoire coloniale, l’heure est au dialogue et à la coopération, et non au repli vers des arguments surannés et entièrement discrédités sur la prétendue singularité, voire supériorité morale, technique ou civilisationnelle de l’Europe. Défendons le rôle actuel de nos musées, non comme mausolées construits dans le marbre d’idéologies désuètes, mais comme plates-formes enrichies par le dialogue, réceptives aux critiques, et ouvertes au changement.

Cécile Fromont est professeure en histoire de l’art à l’Université de Chicago (Illinois).

Hein Vanhee est chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale et membre du Centre d’études bantoues (BantUGent) à l’Université de Gand, en Belgique.