Les militants indépendantistes étaient venus, mardi 10 octobre, célébrer la proclamation de la République catalane. Ils sont repartis chez eux déçus, résignés, surpris. Mais ils ont vite essayé de se faire une raison.

Est-ce pour mieux franchir le Rubicon que Carles Puigdemont, le président de la Généralité, a suspendu temporairement la sécession ? Pour l’instant, les militants ont décidé de le soutenir si son but reste bien celui de se séparer de l’Espagne.

Dès le début de l’après-midi, plusieurs milliers de personnes (30 000 selon la municipalité de Barcelone) se sont rassemblées près du Parlement, sur la promenade Lluis Companys, pour suivre le discours de M. Puigdemont sur les écrans géants qui retransmettaient les images de TV3, la télévision catalane tant de fois critiquée pour être trop proche du gouvernement régional.

Alors que la séance prenait du retard, ils ont acheté des bières aux vendeurs ambulants qui circulaient parmi les manifestants. Il fallait bien arroser la victoire. Puis, lorsque le chef de file indépendantiste a annoncé sa décision, quelques sifflements ont rapidement laissé place à un grand silence.

Scénario à la slovène

« C’est vrai, je suis un peu déçu, reconnaît Siltu Solana, un petit entrepreneur de Barcelone. Mais, c’est la meilleure solution pour renouer le dialogue. On ne pouvait pas prendre une décision unilatérale dans l’immédiat. » Il pense que Madrid « ne peut plus ignorer » les revendications des Catalans : « Il faudra négocier un référendum où nous pourrons tous nous exprimer. » A court terme, le but reste le même : déclarer l’indépendance.

Lluis Portas, lui, ne cache pas sa colère : « Je m’attendais à autre chose, je crois que l’on vient de perdre une occasion historique. » Il a à peine attendu la fin du discours pour repartir chez lui. « On ne doit rien donner aux Espagnols, ça fait des siècles qu’ils nous oppriment et ils vont continuer », peste-t-il.

Des indépendantistes catalans suivent la session au Parlement sur des écrans géants avec un mélange de tristesse et de résignation, à Barcelone le 10 octobre. / GEORGES BARTOLI/ DIVERGENCE POUR LE MONDE

Gemma Ruiz, publiciste, est plus optimiste. Elle pense que Carles Puigdemont a eu raison. « J’ai pleinement confiance en lui. Si nous avions déclaré l’indépendance, l’Etat espagnol aurait pris des mesures de représailles et nous n’aurions pas pu nous défendre. » Elle demande la mise en place d’une médiation internationale : « L’Europe a vu ce qui se passait ici, elle ne peut plus rester impassible. »

Elle parle d’un scénario « qui ressemblerait à celui de la Slovénie ». En 1991, celle-ci avait unilatéralement déclaré son indépendance de la Fédération yougoslave et l’avait finalement acquise aux termes d’une guerre de dix jours. La Communauté européenne l’avait reconnue en 1992. Gemma a vu ça à la télé : « Maintenant je comprends pourquoi on nous en a tant parlé sur TV3. C’était pour nous préparer. »

Jaume Mora avait mis une bouteille de cava au frigidaire. « Je ne vais pas la boire ce soir mais je la garde pour un autre jour. » Il a 21 ans, et fait des études d’ingénieur. Ce mardi, il est venu avec une bande de copains : « Nous avons beaucoup attendu, on peut attendre encore un peu. Nous sommes patients mais pas idiots. On ne va pas encore se faire berner par Madrid. Notre président sait ce qu’il fait. »

Un « coït interrompu »

Guillem Soler est forgeron à Gurb un petit village situé à l’intérieur de la Catalogne. « On nous traite souvent de ploucs, mais nous croyons profondément à l’indépendantisme. J’étais venu vivre une journée historique. Qu’importe, on en aura d’autres car la lutte est loin d’être finie. »

Pau Obiols, professeur de primaire à San Feliu de Llobregat, dans la banlieue de Barcelone décrit le discours de M. Puigdemont comme un « coït interrompu ». Le président catalan « a très bien commencé en exposant l’historique de nos revendications et puis d’un seul coup tout est retombé alors évidemment il y en a qui ont été déçus. » Il estime que la Catalogne s’achemine vers « une sorte de Brexit négocié ». « Quoique je ne vois pas trop comment car personne ne semble disposé à céder », ajoute-t-il cependant.

Les responsables des deux grandes organisations indépendantistes – l’Assemblée nationale catalane et Omnium – qui avaient organisé le rassemblement devant le Parlement, ont essayé de gérer la déception de leurs sympathisants en offrant leur soutien à la décision du gouvernement catalan. Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, que l’on surnomme souvent « les deux Jordi », ont mobilisé la rue depuis la première grande manifestation de la Diada – la fête nationale catalane – en 2012.

« Nous aurions aimé une mise en scène un peu différente », a avoué M. Sanchez « La meilleure transition possible vers une république catalane est une transition négociée », a-t-il déclaré après le discours du président catalan.

Dans un entretien au Monde, il a appelé Madrid à ouvrir un espace de dialogue. Pour M. Sanchez, « il n’y a pas d’autre voie que celle d’un référendum négocié avec l’Etat espagnol pour que la citoyenneté puisse s’exprimer ». « C’est ce que nous avons toujours proposé. Il ne peut pas y avoir seulement un accord entre les responsables politiques. »