Le premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, a répondu, mercredi 11 octobre, au discours ambivalent de Carles Puigdemont. Le chef du gouvernement espagnol a fixé un ultimatum aux autorités catalanes, qui ont jusqu’au lundi 16 pour dire, si oui ou non, elles ont déclaré l’indépendance de la région. Mardi soir à Barcelone, dans une intervention ambiguë, le président catalan a, en effet, proclamé l’indépendance, avant de « suspendre » sa mise en œuvre quelques secondes plus tard.

Pour Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste des questions ibériques à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Carles Puigdemont est désormais « pris entre deux feux », celui de Mariano Rajoy et celui de l’extrême gauche indépendantiste.

Que faut-il retenir des deux déclarations de Mariano Rajoy ?

Ce matin, Mariano Rajoy a renvoyé la balle que lui avait passée le président de la Généralité. Mardi soir, Carles Puigdemont a fait un discours en oxymore, en affirmant le droit à l’indépendance de la Catalogne, mais en expliquant qu’elle n’allait pas s’appliquer et en demandant une médiation internationale. Beaucoup d’observateurs s’attendaient à une déclaration d’indépendance. Mariano Rajoy lui a tout simplement répondu qu’il n’avait pas compris son discours. Le ballon est donc revenu dans les mains de Carles Puigdemont.

On peut, en outre, considérer que sa déclaration entre dans la procédure de mise en application éventuelle de l’article 155 : « Confirmez-moi que vous avez proclamé l’indépendance et commis un délit. » Les deux hommes sont ainsi passés d’un jeu de poker à un jeu d’échecs.

Quels sont désormais les scénarios politiques possibles ?

Jusqu’à présent, le Parti populaire (PP – droite) – auquel appartient Mariano Rajoy – a reçu le soutien des centristes de Ciudadanos pour l’utilisation de l’article 155 mais pas celui du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Or, si Mariano Rajoy n’a pas besoin des autres partis pour obtenir le vote du Sénat – le PP y détient la majorité absolue –, l’utilisation de l’article 155 est une mesure lourde de conséquences. On voit donc mal le gouvernement espagnol s’engager dans cette voie sans le soutien des partis dits « constitutionnalistes ».

S’il veut obtenir le soutien des socialistes, il faut qu’il passe un accord avec eux. Depuis 2013, le PSOE propose une fédéralisation de l’Espagne, une position également défendue par les socialistes catalans. Une fédéralisation reviendrait à revenir au statut d’autonomie de 2006 de la Catalogne, qui était alors considérée alors comme une « nation ». Mais, en 2010, le tribunal constitutionnel espagnol l’a annulé. Pour que cela ne soit pas à nouveau le cas, il faut réformer l’article 2 de la Constitution espagnole. Jusqu’à présent, il stipule que l’Espagne est une nation « composée de nationalités et de régions ». Il faudrait ajouter le mot « nation ». En échange de cette réforme, les socialistes espagnoles soutiendront peut-être l’utilisation de l’article 155.

Mariano Rajoy n’a pas abordé devant le Parlement l’idée d’une réforme de la Constitution alors que le PSOE a affirmé qu’un accord avait été passé parce qu’il veut séparer les deux dossiers : d’un côté, le respect de la Constitution par le président catalan, de l’autre, la réforme. Même si l’article 155 est, en définitive, non utilisé, Mariano Rajoy doit soutenir la réforme de la Constitution pour mettre fin à la crise actuelle.

Quid du gouvernement catalan ?

C’est très difficile à savoir. Carles Puigdemont est pris entre deux feux, celui de Mariano Rajoy et celui de la Candidature d’unité populaire (CUP), l’extrême gauche indépendantiste. Il est certain que ses positions contradictoires sur l’indépendance peuvent faire exploser la majorité parlementaire catalane. La CUP, minoritaire mais indispensable pour que les indépendantistes conservent leur majorité, envisage de retirer son appui à Carles Puigdemont. Si c’est le cas, il n’y aurait alors plus de majorité, une motion de censure serait votée et on se dirigerait vers des élections anticipées en Catalogne.

L’autre hypothèse est que Carles Puigdemont décide de se jeter dans le vide et proclame l’indépendance. Mais, il y aurait une réaction extrêmement forte de l’autorité centrale qui entraînerait une mise sur la touche des autorités politiques de la Catalogne. Cette option me paraît donc difficile. Le Parti démocrate de Catalogne (PdeCAT – centre droit) auquel appartient Carles Puigdemont est très lié aux milieux d’affaires. Après le référendum, il y a eu un revirement des milieux économiques qui explique la décision que le président catalan a prise hier soir. Il prend peut-être conscience que ce qu’il s’est passé ces dernières semaines va finir par affaiblir l’économie de la Catalogne, son point fort jusqu’à présent.

Comment peut réagir la CUP si Carles Puigdemont répond à Mariano Rajoy qu’il abandonne l’idée d’une indépendance ?

Dans le cas où le président catalan mettrait un coup de frein à l’indépendance, la CUP a, d’ores et déjà, dit qu’elle quitterait dans un délai d’un mois le Parlement catalan pour retrouver son terrain de prédilection : la rue.

La CUP est très liée à l’Arran, l’équivalent des Black Blocs en France. Le 11 septembre dernier, le jour de la Fête nationale catalane, ils ont manifesté à part, vêtus de noir, avec des discours proches de ceux de l’ETA (Euskadi Ta Askatasuna – Pays basque et liberté) des années 1990. Tout cela pourrait présager d’une évolution plus radicale et plus violente des indépendantistes d’extrême gauche.

Carles Puigdemont, 30 ans de combat pour l’indépendance catalane
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