Perles, colliers, bracelets : en Afrique du Sud, les trafiquants asiatiques de cornes de rhinocéros s’improvisent désormais bijoutiers. C’est la découverte récente et inquiétante dévoilée par l’organisation de protection des animaux Traffic, dans un rapport rendu public le 18 septembre à Pretoria. La police sud-africaine a ainsi mis au jour des ateliers clandestins où des bijoux sont sculptés dans des cornes issues du braconnage. Des produits « prêts à porter » pour les consommateurs de Chine ou du Vietnam, où cette protubérance nasale est très prisée.

Sans efficacité prouvée, la corne est utilisée en médecine traditionnelle pour traiter presque tout : rhumes, fièvres, impuissance sexuelle et même cancer.

La corne de ce pachyderme grognon n’est composée que de kératine, comme les ongles ou les cheveux humains. Mais, réduite en poudre, on lui prête en Asie des vertus miraculeuses et aphrodisiaques. Sans efficacité prouvée, elle est utilisée en médecine traditionnelle pour traiter presque tout : rhumes, fièvres, impuissance sexuelle et même cancer.

Selon le rapport, les trafiquants employaient déjà une myriade de techniques pour échapper à la vigilance de la police : les cornes étaient enveloppées dans du papier d’aluminium, recouvertes de shampoing, de dentifrice ou de cire afin de masquer l’odeur de décomposition, transformées en jouets pour enfants, dissimulées dans des sacs de noix de cajou, des cubis de vins, des appareils électroniques… « Les criminels ne veulent plus se risquer à exporter des cornes entières. Désormais, elles sont découpées sous forme de disques ou de grosses perles afin de répondre à la demande et d’éviter la détection », a confié Johan Jooste, le colonel de la brigade spéciale sud-africaine de protection des espèces protégées,
aux enquêteurs de Traffic.

500 rhinocéros tués au premier semestre

Le commerce international de cornes de rhinocéros ou d’ivoire est interdit depuis 1977. Mais sur le marché noir, le kilo de corne peut atteindre les 50 000 euros selon certaines estimations, soit plus que la cocaïne ou l’or. Pour l’alimenter, plus de 7 000 rhinocéros ont été tués en Afrique au cours de la dernière décennie.

L’Afrique du Sud se trouve à l’épicentre de cette hécatombe. Elle concentre trois quarts des 25 000 rhinocéros du continent toujours vivants, et 91 % des animaux tués en 2016. Malgré la mobilisation des pouvoirs publics, le problème est croissant : rien qu’au premier semestre 2017, plus de 500 rhinocéros ont été décimés. Pour la plupart, au sein même des parcs
animaliers qui font le bonheur des touristes.

Au-delà du braconnage, ce rapport survient en plein débat sur la légalisation de la vente de cornes sur le marché domestique sud-africain, tourné vers les collectionneurs. Au terme d’une longue bataille judiciaire, les propriétaires d’élevages de rhinocéros ont réussi à briser un moratoire mis en place en 2009 par le gouvernement. Dans la foulée, une vente aux enchères par Internet – une première mondiale – a été organisée fin août par John Hume, qui possède le plus grand élevage au monde. « La vente légale sur le marché domestique a été rétablie, ce qui ouvre la voie à de futures ventes », ont déclaré ses avocats à l’issue de l’opération controversée, qui a néanmoins attiré moins d’acheteurs qu’espéré. John Hume aurait amassé 6 tonnes de cornes auprès de ses 1 500 rhinocéros, préalablement endormis lors d’une procédure qu’il assure indolore ; la corne repousse ensuite. Pour cet éleveur de Klerksdorp, à l’ouest de Johannesburg, le commerce légal est le moyen de couper l’herbe sous le pied aux braconniers et aux trafiquants, et de financer la protection des espèces en voies d’extinction.

Mais pour les organisations de protection des animaux, les forces de l’ordre n’ont pas les capacités de contrôler le marché domestique tout en combattant le braconnage, et de s’assurer que les cornes vendues ne sortent pas clandestinement du pays. A bien des égards, le rapport de Traffic illustre la difficulté de mettre au pas des trafiquants qui rivalisent d’inventivité. « Qui, dans un aéroport, va arrêter une personne qui porte un bracelet ou un collier ? », s’inquiète Julian Rademeyer, l’un des auteurs du rapport.