De gauche à droite : Gwyneth Paltrow, Rosanna Arquette, Mira Sorvino, Rose McGowan, Angelina Jolie Pitt, Asia Argento et Ashley Judd, des actrices parmi les nombreuses femmes qui ont témoigné contre Harvey Weinstein. / AP

Le comportement de prédateur sexuel d’Harvey Weinstein était le « secret le moins bien gardé » d’Hollywood. L’affaire tourne désormais au règlement de comptes entre les victimes et leurs soutiens, et ceux qui « savaient forcément », ceux qui « se doutaient ». Mais aussi ceux qui savent désormais et ne disent toujours rien.

Les premières accusations d’agressions sexuelles révélées par le New York Times ont été suivies par un article accablant dans le New Yorker comportant trois accusations de viol, dont une a valu l’ouverture d’une enquête par la police de New York. De nombreuses actrices ont depuis ajouté leur témoignage, dont les actrices Emma de Caunes, Judith Godrèche, Angelina Jolie, Gwyneth Paltrow et Léa Seydoux.

Silence embarrassé et accusations de complicité

A quelques rares exceptions, les hommes d’Hollywood n’ont pas, dans un premier temps, réagi ou pris position publiquement, alors que les femmes étaient nombreuses à le faire, de Meryl Streep à Kate Winslet.

Il y a bien eu Colin Firth, Leonardo DiCaprio ou Mark Ruffalo – qui a qualifié ces agissements de « répugnant abus de pouvoir » sur Twitter. George Clooney, dans une interview au Daily Beast, a, lui, reconnu que des rumeurs selon lesquelles des actrices avaient « couché avec Harvey Weinstein pour obtenir des rôles » courraient depuis les années 1990. Rumeurs qu’il a jugées sexistes, concluant qu’il ne fallait pas y prêter plus d’attention.

Mais le Guardian a publié mercredi la liste d’une vingtaine d’hommes d’Hollywood, contactés pour commenter l’affaire Weinstein, et qui n’ont pas donné suite à ses sollicitations. Parmi eux :

  • des réalisateurs de premier plan ayant travaillé avec Weinstein, comme Quentin Tarantino et Michael Moore ;
  • des acteurs dont Matt Damon, Bradley Cooper, Brad Pitt, Daniel Day-Lewis, Russell Crowe ou Ewan McGregor.

Au stade de l’affaire où chacun se demande « qui savait » et « qui ignorait », le silence embarrassé de ces acteurs de premier plan est interprété comme un aveu de complicité, plus ou moins passive. Car certains sont eux-mêmes accusés d’avoir contribué à étouffer les accusations pesant sur Harvey Weinstein. Sharon Waxman, journaliste et fondatrice du site The Wrap.com, explique avoir mené une première enquête en 2004, alors qu’elle était journaliste au New York Times. Elle accuse Matt Damon et Russel Crowe d’avoir fait pression sur elle, au téléphone, pour que son article ne soit pas publié en l’état. Matt Damon, ainsi que le New York Times, ont démenti.

Ben Affleck, dont la carrière a été lancée par le studio Miramax, a assuré qu’il ne savait rien, mais l’une des actrices ayant porté les premières accusations contre Weinstein, Rose McDowan, affirme que c’est faux : « Je lui avais dit d’arrêter ces conneries ! », aurait-il dit à l’actrice après qu’elle lui a raconté son agression. Dans la journée de jeudi, d’aucuns ont déterré des épisodes embarrassants pour Ben Affleck lui-même, alors que l’acteur s’est fendu d’un communiqué dénonçant le harcèlement sexuel.

« Parlez plus fort »

Dès lundi, lendemain du renvoi d’Harvey Weinstein de sa société de production, Jessica Chastain s’insurgeait :

« J’en ai marre que l’on demande aux femmes de prendre la parole. Qu’en est-il des hommes ? »

Elle partage, à la suite de cette remarque, une tribune parue dans le magazine Variety, qui explique que les hommes doivent prendre part à la condamnation collective pour que les choses changent :

« Quand il s’agit de transformer la culture d’Hollywood, c’est très simple : si vous ne faites pas partie de la solution, vous faites partie du problème. »

Lena Dunham, actrice et réalisatrice de la série Girls, a également publié une tribune dans le New York Times pour demander aux hommes d’Hollywood de sortir de leur silence, eux qui ont si unanimement condamné les propos orduriers de Donald Trump envers les femmes pendant la campagne présidentielle américaine :

« Nous n’acceptons pas de considérer les agressions sexuelles comme de simples conversations de vestiaire. Alors pourquoi ce silence assourdissant, en particulier de la part d’hommes du milieu du cinéma, lorsque l’un des nôtres est dénoncé pour son goût répugnant de l’humiliation des femmes ? »

Et Lena Dunham de dresser un parallèle entre Weinstein et d’autres hommes du milieu du cinéma qui ont bénéficié, avant lui, d’une forme de complicité active ou passive de la part d’Hollywood.

Elle cite Woody Allen, accusé par sa fille adoptive, Dylan Farrow, d’agressions sexuelles alors qu’elle était enfant, et qui n’a jamais été inculpé pour ces accusations. Mais aussi Roman Polanski, activement protégé par une partie de la profession, en France comme aux Etats-Unis, alors qu’il est poursuivi dans ce pays depuis 1977 pour viol sur une mineure de 13 ans. Son arrestation en Suisse en 2009 lui a valu de nombreux soutiens en France, en Pologne et aux Etats-Unis. Dont celui, rappelle Lena Dunham, d’Harvey Weinstein.

La réalisatrice poursuit en affirmant à quel point il est curieux que les hommes d’Hollywood, qui concentrent le plus de pouvoir entre leurs mains, n’aient pas la force de parler :

« Les hommes ont le moins à perdre et le plus de pouvoir entre leurs mains pour faire changer les choses, outre qu’ils ne gèrent probablement pas le même niveau de traumatisme personnel et collectif autour de ces accusations. (…) Et pourtant, nous sommes là, des jours après, à attendre des collaborateurs les plus puissants d’Harvey Weinstein qu’ils disent quelque chose. N’importe quoi. »

Le silence des hommes, conclut-elle, contribue à créer un environnement où des comportements comme celui de M. Weinstein restent possibles. « Quand nous restons silencieux, nous fermons les yeux sur un comportement qu’aucun d’entre nous ne peut juger acceptable. (…) Parlez plus fort. »