Des fleurs déposées le long de la promenade des Anglais où a eu lieu l’attentat du 14 juillet. / VALERY HACHE / AFP

Dans les couloirs du tribunal correctionnel de Nice, mercredi 11 octobre, règne le silence pesant de l’attente. Celle d’enfin voir apparaître Vincent Delhomel, l’ancien secrétaire général de l’association de victimes Promenade des Anges, jugé pour escroquerie et abus de confiance, après deux rendez-vous manqués avec la justice.

Cette fois, les membres de l’association fondée au lendemain de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice veulent y croire : une expertise médicale a déclaré le prévenu apte à comparaître et le parquet a délivré un mandat d’amener. Mais l’image de son avocat gravissant seul les marches du palais de justice douche les espoirs des membres de l’association, partie civile dans le dossier.

Il est 14 heures. « M. Delhomel a disparu », lâche son conseil, Zia Oloumi, qui n’a « eu aucune nouvelle depuis hier soir », alors qu’ils devaient faire route ensemble vers le tribunal. C’est finalement menotté, une heure après le début officiel de l’audience prévue à 13 h 30, que l’ancien porte-parole de l’association fait son apparition dans la salle.

« Manque d’empathie »

Une énième dérobade qui semble avoir incité les juges à ordonner un mandat de dépôt contre lui, après l’avoir condamné à dix-huit mois de prison, dont un an ferme. Dénonçant « le manque d’empathie » du prévenu, le parquet avait réclamé une peine de deux ans d’emprisonnement, dont six avec sursis. M. Delhomel est donc reparti comme il est arrivé, escorté vers la prison par trois fonctionnaires de police, l’air pataud et la mine patibulaire.

Quelques heures plus tôt, le quinquagénaire à l’imposante carrure s’était avancé chancelant devant les juges, sous le regard rassénéré de la partie civile, représentée par Emilie Petitjean, la présidente de l’association et Anne Muris, la trésorière. Mais si le prévenu est physiquement présent, c’est un homme absent, rendu apathique par les médicaments, qui répond aux questions des juges.

La présidente égrène notamment les 1 460 euros de notes de frais, entre octobre et décembre 2016, où chaque jour compte son lot de dépenses diverses et variées : billets de train, courses de taxi, dîner en solitaire dans des restaurants chics ou encore multiples cafés à l’aéroport. Lorsque la présidente réclame des explications, M. Delhomel répond sans convaincre que ces dépenses ont été faites « dans le cadre » de ses fonctions et « pour le bien-être des victimes » qu’il rencontrait. La présidente rappelle alors :

« Pour quelqu’un qui dit prendre le taxi pour éviter les transports en commun, vous avez beaucoup pris le train, notamment pour aller voir de la famille. »

« On a le sentiment que vous n’avez plus aucune autonomie et que tout est défrayé par l’association », résume-t-elle, listant inlassablement « ces dépenses personnelles de pure commodité ».

« Cet argent a également servi à rembourser vos arriérés de loyer »

Une autre somme figure au dossier : 7 300 euros émanant d’une vente caritative de bracelets pendant l’opération « Courir pour nos Anges », un marathon entre Nice et Cannes, réalisé en novembre 2016. A cette époque, l’association navigue à vue, portée par M. Delhomel, l’un des rares membres de l’association à ne pas être endeuillé par la mort d’un proche.

Un mois plus tard, Emilie Petitjean, qui a perdu son fils de 10 ans le soir du 14 juillet 2016, accepte de devenir présidente et constate effarée que « rien n’avait été fait » : « aucun document administratif, pas de livre de trésorerie, pas de comptabilité ».

C’est en « épluchant la presse » que Mme Muris, la trésorière de l’association, elle aussi fraîchement nommée, tombe sur l’opération caritative, dont les recettes n’apparaissent nulle part. A la barre, la trésorière raconte le « côté fuyant et mal à l’aise » de M. Delhomel, qui renâclait à lui fournir les différentes pièces comptables. Par elle-même, Mme Muris découvre que l’association fonctionne « sans argent liquide, mais uniquement avec des virements et des chèques ».

Evoquant des « difficultés financières », et concédant « avoir dérapé », M. Delhomel confie avoir versé la recette du marathon sur son compte bancaire, afin de « payer les dépenses liées à l’association »… dont il demandait ensuite le remboursement en réalisant des notes de frais. « Cet argent a également servi à rembourser vos arriérés de loyer », rappelle la présidente du tribunal. Louvoyant, M. Delhomel évoque « un simple prêt », avant de reconnaître « une sorte de détournement ».

L’avocat du prévenu juge ce procès « inutile » et compte faire appel d’une décision « sévère et exagérée »

Face à un prévenu somnolent pendant sa plaidoirie, l’avocat de la partie civile, Julien Darras, a fustigé un comportement « indigne », rappelant « les deux précédents renvois infligés aux victimes ». « Il n’a pas la décence de présenter ses excuses face à l’évidence des faits », a regretté le conseil, qui estime que M. Delhomel « a profité de son statut de victime » – que l’avocat met en doute, soulignant « les multiples versions données sur le soir de l’attaque ».

Me Oloumi a, lui, regretté que son client « soit présenté comme le dernier des salauds », soulignant sa personnalité « fragile », et citant des témoignages de victimes qui le soutiennent encore aujourd’hui. Rappelant que son client, en arrêt maladie depuis l’attentat, a remboursé les frais détournés, le conseil juge ce procès « inutile » et compte faire appel d’une décision « sévère et exagérée ».

Au sortir du tribunal, Mme Muris, l’air visiblement soulagé, s’est dite « satisfaite de cette condamnation qui fera exemple », avant de prévenir « l’affaire n’est pas finie » :

« Le procès n’a pas permis de soulever le statut de victime de M. Delhomel ; être victime, c’est une douleur ineffable, on ne peut pas usurper cela. »