Marlène (à gauche) et son amie Nadine, au Chalet du touriste de Bray-Dunes, le 25 mai. / Stefania Rousselle

« J’ai rencontré Michel sur les bancs de l’école. J’avais 12 ans. Plus tard, on a travaillé dans la même usine de textile. Il a ensuite travaillé sur le port, il était docker. On a été mariés pendant trente ans.

Il est mort en mars 2004. Il a été le grand amour de ma vie. C’était lui. C’était tout. Je ne voyais que lui. Ses baisers me manquent. Terriblement. Ils me faisaient monter au septième ciel.

Il était plutôt renfermé, pas jovial comme moi. Il n’aimait pas danser. Mais enfin il avait d’autres qualités ; c’était un bon père de famille, et il était beau. Oh oui ! Il était né en 1949, donc son style c’était pattes d’éléphant et tout ça ! Avec la maladie, il était devenu très différent. Ce n’était plus l’homme que j’avais connu. A la fin, il était méchant en paroles. Il n’avait plus de cordes vocales, ça faisait encore plus mal parce que ça sortait de l’œsophage. Ça cognait. C’est la souffrance qui le rendait comme ça, il n’était pas méchant de nature. Ça a été terrible.

Après j’ai réappris à vivre. Il faut bien de toute façon. Ça a fait un vide. Du coup, j’ai pris des petits boulots. J’étais femme de ménage dans les écoles, je servais dans les banquets, ça me faisait passer le temps. Il y a aussi les enfants et les petits-enfants. Sans eux, je ne sais pas si j’aurais pu survivre. Mais ils ont leur vie.

Dans la chambre de Marlène Duchemin, 66 ans, retraitée, à Petite-Synthe, Dunkerque. / Stefania Rousselle

Après je me suis dit : “Bon, il faut que je sorte. J’ai 55 ans. La vie est trop courte. Je ne vais pas rester enfermée non plus, hein ?” C’est là que je suis allée au Chalet du touriste, un café dansant à la frontière belge. Ils l’appellent le “bal des veuves”.

J’y ai rencontré Alain le 17 octobre 2008. Il était veuf aussi. En décembre, il m’a invitée à connaître ses enfants. On vivait pas ensemble, on était chacun chez soi. C’était pas du tout, mais alors pas du tout le même genre que mon mari. Lui, il dansait, il savait s’amuser. Mais je ne pouvais pas dire “je t’aime” à Alain comme je disais “je t’aime” à mon mari. C’était pas la même chose. On cherchait plus de la compagnie, de l’affection. Il est décédé, Alain. Ça fait sept mois. Oh, j’ai pas de pot, moi.

Maintenant, je vais voir mes deux amoureux sur leurs tombes. Il y en a un à Dunkerque, un à Bray-Dunes (Nord). Alain, c’est récent, alors j’y vais une fois par mois et je mets une fleur sur sa tombe. Mon mari, je vais le voir trois fois par an : pour son anniversaire, pour la Fête des pères et à la Toussaint.

Je ne me sens pas seule. J’ai programmé ma vie, je m’y suis habituée. Et je n’ai pas le choix. Ma sonnerie de téléphone, c’est celle que je voudrais qu’on mette pour mon enterrement. C’est “Oh my Love” dans le film Ghost avec Patrick Swayze et Demi Moore. Pourquoi ? Parce que ça, c’est une chanson d’amour. »

Marlène Duchemin, 66 ans, retraitée, dans le Nord.
Retrouvez la série sur Instagram : @stefaniarousselle