Des avions de Lufthansa Air Berlin, à l’aéroport de Berlin-Tegel, le 12 octobre. / HANNIBAL HANSCHKE / REUTERS

Deux mois après la faillite de la compagnie Air Berlin, Lufthansa a obtenu la part du lion des restes de son ancien concurrent. Jeudi 12 octobre, un accord a été signé entre les deux parties : le géant allemand obtient LGW et Niki, les filiales d’Air Berlin, en plus de 20 autres appareils. Au total, 81 des 144 avions d’Air Berlin tombent dans l’escarcelle de Lufthansa, qui a mis 210 millions d’euros sur la table dans cette transaction.

Le groupe allemand s’est par ailleurs engagé à réembaucher 3 000 des 8 500 salariés d’Air Berlin, qui travailleront à l’avenir pour sa filiale à bas coûts Eurowings : 1,5 milliard d’euros ont été mis à disposition à cet effet, a précisé Carsten Spohr, le PDG de Lufthansa, jeudi 12 octobre, qui parle d’une « grande étape dans l’histoire » de la compagnie à la grue, fondée en 1926 à Berlin. Lufthansa s’empare en effet des terminaux Air Berlin aux aéroports de Tegel et Schönefeld et s’assure une position de numéro un dans la capitale allemande.

A la Bourse de Francfort, les investisseurs ont salué le deal : jeudi, l’action Lufthansa a grimpé de 3,2 %, à 25,34 euros, soit son plus haut niveau depuis début 2001. « Lufthansa sort renforcé de cette opération avec Air Berlin, ce qui devrait lui assurer une augmentation de ses ventes dans les prochaines années », estiment les analystes de la banque HSBC.

Inquiétudes sur la hausse des prix

L’accord de jeudi ne signe cependant pas la fin des négociations. Car les discussions se poursuivent avec EasyJet sur la reprise des autres avions du groupe. Depuis le 25 septembre, Air Berlin a réduit à deux ses partenaires de négociations : Lufthansa et la compagnie britannique, qui s’intéresse actuellement à 20 à 30 appareils moyen-courriers. Pour l’instant, aucun accord n’a été annoncé.

Si les discussions devaient échouer, un autre candidat à la reprise, comme le groupe Condor, reviendrait à la table des négociations. Mais le temps presse : le dernier vol Air Berlin est programmé pour le 27 octobre. Par ailleurs, le deal avec Lufthansa ne prendra effet que lorsque la Commission européenne aura donné son accord. Celui-ci ne devrait intervenir au plus tôt qu’en fin d’année et il est probable que le géant allemand soit forcé d’abandonner des liaisons ou des créneaux de décollage et d’atterrissage.

Car Lufthansa s’assure avec cette transaction une position de marché qui suscite de fortes critiques. Dès en amont de l’accord, les protestations des compagnies concurrentes contre le pouvoir à venir de cette compagnie avaient été acerbes. Aujourd’hui, les experts du marché ne cachent pas leurs inquiétudes sur la hausse des prix. « On a raté une occasion de réorganiser le marché allemand du transport aérien au profit de la concurrence et donc des clients. Sur les liaisons intérieures allemandes, comme Cologne-Munich ou Berlin-Francfort, il est probable qu’un quasi-monopole se crée. Cela ne se fera pas sans hausse des prix, car il n’y a plus de créneaux de décollage et d’atterrissage disponibles, » prévient Tomaso Duso, directeur du département entreprises et marchés à l’Institut économique de Berlin (DIW).

98 % sur les liaisons intérieures

Selon les chiffres de Bank of America Merrill Lynch, le groupe Lufthansa, en incluant sa filiale à bas coût Eurowings et Air Berlin dans son ensemble, détiendrait une part de marché de 98 % sur les liaisons intérieures allemandes et de 65 % sur les liaisons européennes au départ de l’Allemagne. La participation renforcée sur ces segments d’un autre acteur comme EasyJet est considérée par beaucoup d’experts comme un garant indispensable de la concurrence.

Mais Carsten Spohr s’est défendu, jeudi, dans les colonnes du quotidien Handelsblatt : « Aucune autre branche n’a connu de telles baisses continuelles de prix ces dernières années. Les tarifs sont parfois si faibles que les compagnies ne peuvent plus vivre », a déclaré le patron de Lufthansa. Il estime tout de même que la concurrence « pourrait s’installer sur les liaisons sur lesquelles seules Lufthansa et Air Berlin se faisaient face », arguant que la filiale à bas coûts du groupe, Eurowings, pourrait elle-même proposer des prix inférieurs à ceux de Lufthansa.

« C’est une tentative à bon marché de minimiser les problèmes de concurrence, estime Daniel Zimmer, l’ancien directeur de la commission sur le monopole, un organe chargé de conseiller le gouvernement allemand dans les dossiers de concurrence. Aucun directeur ne va jamais chercher à créer entre deux de ses entreprises du même groupe la même concurrence que celle à laquelle se livraient jusqu’ici Lufthansa et AirBerlin. »

L’actuel directeur de la même commission, Achim Wambach, s’est déclaré certain que la Commission européenne évaluera le deal de près. « Les autorités vont empêcher la création d’un monopole », a-t-il déclaré, avançant que l’Europe ne pouvait être considérée comme un marché homogène et qu’il fallait examiner les trajets un par un. Une dernière ligne droite dans les projets de Lufthansa, qui veut faire de sa filiale Eurowings le grand concurrent d’EasyJet et de Ryanair sur le marché européen.