Campagne publicitaire Dove. / DOVE

La polémique a enflé cette semaine concernant une publicité de la marque de cosmétique Dove jugée raciste. Comme d’habitude en pareilles circonstances, la presse se fait l’écho de la contestation des internautes. Les réseaux sociaux, naturellement, deviennent ensuite le mur des lamentations de « panafricanistes » et autres « amoureux de l’Afrique » choqués par cette nouvelle profanation de notre couleur de peau. Et, à la virulence des réactions effarouchées et amplifiées par l’effet viral d’Internet, succède l’appel au boycottage de cette marque « raciste » qui « considère qu’une peau noire, c’est sale ». Florilège habituel.

Seulement, il y a un petit problème : cette pub n’est en rien raciste. Elle a même réussi – prouesse – à avoir l’effet initialement visé, celui de rendre hommage à la beauté de toutes les femmes, quelles que soient leur couleur et leurs formes. Mais la marque, soucieuse de son image, et consciente du bouche-à-oreille négatif que sa campagne de promotion a provoqué malgré elle, s’est vite excusée et l’a retirée. L’entreprise a cédé face à l’injonction de ceux à qui Internet aurait conféré une légitimité pour sans cesse servir leur litanie victimaire. Le pouvoir de nuisance des réseaux sociaux est-il si fort que la marque n’a pas jugé bon d’expliquer le concept de sa campagne, de lever le doute sur les mauvaises intentions qu’on lui a bien rapidement prêtées ?

Cette affaire montre une nouvelle fois comment on peut instrumentaliser le moindre fait banal pour en tirer le moyen de semer la division entre les gens et intenter un procès en racisme.

Incarner la beauté noire

En effet, ce scandale est parti d’une capture d’écran réalisée par une Américaine, Naomi Blake, pour assouvir un dessein qu’elle seule est en mesure d’expliquer. Elle a figé l’image d’une femme noire qui, utilisant une crème de douche Dove, devient blanche.

La publicité de Dove publiée ici sur Twitter. / DANIEL SORABJI / AFP

Par ailleurs, la circulation d’une vidéo sur Facebook de treize secondes, qui en faisait initialement trente, a elle aussi participé à la montée en flèche de la polémique. On y voit une femme noire enlever un tee-shirt de la même couleur que sa carnation, faisant apparaître une femme rousse à la peau diaphane, puis une femme de type latino au teint hâlé. Le message initial était simple : le savon convient à toutes les peaux. La femme noire ne se transforme pas en rousse, pas plus que la rousse ne se transforme en brune basanée − ce qui au passage met à mal l’interprétation raciste. D’ailleurs, dans le spot de pub initial diffusé aux Etats-Unis, comme l’a rappelé, dans une tribune publiée mardi 10 octobre sur le site du Guardian, la comédienne d’origine nigériane Lola Ogunyemi, choisie par la marque pour incarner la beauté noire : « Nous étions sept femmes toutes d’origines et d’âges différents. Chacune d’entre elles devait répondre à la question “Si votre peau était une marque cosmétique, laquelle serait-elle ?” Pendant le tournage, si j’avais eu le moindre soupçon, j’aurais été la première à dire non ! »

Les images diffusées par Naomi Blake ont induit en erreur beaucoup de personnes qui ont jugé hâtivement sans vérifier. Par conséquent, beaucoup de personnes, dont il faut toutefois saluer la vigilance, ont été trompées de bonne foi. Car il faut le reconnaître, de nombreux précédents existent.

La publicité occidentale a une histoire parsemée de racisme anti-Noir. Nous avons connu les scandaleuses publicités de lessive et autres détergents qui « blanchiraient même un nègre ». Récemment, c’est une marque chinoise qui s’ajoutait à la liste déjà trop longue de ceux qui vendent leurs produits en faisant appel au cliché raciste le plus détestable.

Evidemment, notre capacité de révolte face à la ségrégation raciale et l’atteinte à la dignité doit être sans équivoque. Les inepties racistes, qu’elles proviennent de pseudo-militants panafricains ou d’hommes politiques occidentaux, doivent rencontrer le même rejet franc et vigoureux. Dès lors, il serait regrettable de banaliser l’indignation, au risque de passer outre les vraies questions qui ont trait au culte sans relâche d’un humanisme de combat.

Car « l’affaire Dove » renseigne aussi sur la capacité facile d’indignation de beaucoup d’entre nous, comme si nous n’attendions tous les jours qu’un acte aussi banal soit-il pour crier au racisme. Sommes-nous si faibles ? La conscience de la défaite se manifeste-t-elle aussi par une sensibilité à fleur de peau ? Certaines réactions notées çà et là témoignent d’un si profond complexe d’infériorité que n’importe quelle agence de communication suffirait à nous dépouiller de notre humanité.

Des gazouilleurs compulsifs

Sur les réseaux sociaux, véritable foire aux curiosités, le travail d’amplification de l’humiliation dont se serait rendu coupable Dove se fait à un rythme effréné. Des internautes – dont certains qui se blanchissent de façon ostentatoire la peau – s’indignent, insultent, menacent et appellent à la riposte, oubliant qu’il serait peut-être normal de savoir – parfois avant – de quoi on parle.

Au contraire, des gazouilleurs compulsifs cherchent par n’importe quel moyen à prouver que tous les Blancs sont racistes – convoquant successivement le franc CFA, le complot issu du Quai d’Orsay, la destruction de la Libye ou l’assassinat de je ne sais quel grand leader tiers-mondiste. Ces entrepreneurs identitaires sont souvent rejoints dans leur complainte par des Occidentaux « amoureux de l’Afrique », avec tout le côté paternaliste et touchant de ridicule de leur posture.

Tout ceci nous donne une leçon sur la destruction que peut engendrer une manipulation. C’est terrifiant. Et ça l’est davantage quand on sait que l’avenir du débat public sera partagé entre fausses nouvelles, photomontages grossiers et post-vérités. Bienvenue au XXIe siècle !

Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.