A Gaza, le 12 octobre. / SUHAIB SALEM / REUTERS

Le mouvement islamiste Hamas et son rival palestinien du Fatah ont signé, jeudi 12 octobre, au Caire, un accord de réconciliation destiné à mettre fin à une décennie de déchirements, en se laissant deux mois pour résoudre les problèmes les plus épineux.

Arthur : Que dit précisément cet accord ? Que va-t-il changer concrètement pour les habitants de la bande de Gaza ?

Piotr Smolar : Il y a ce qu’on sait de son contenu, et ce qui figure dans les clauses tenues confidentielles. Cet accord d’étape, signé hier entre le Hamas et le Fatah, porte uniquement sur l’administration de la vie civile à Gaza. En somme, après le retour symbolique du gouvernement palestinien de Rami Hamdallah dans la bande de Gaza, les 2 et 3 octobre, le Hamas confirme par écrit qu’il accepte de rendre les clés de tous les ministères à l’Autorité palestinienne. Cela concerne aussi le contrôle des points de passage vers Gaza, par Israël et par l’Egypte.

Il y aura un nouveau rendez-vous au Caire entre factions, le 21 novembre, pour aborder d’éventuelles élections générales, l’intégration du Hamas au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), ainsi que la question de l’aile militaire du mouvement islamiste.

A ce stade, il est impossible de parler de franc succès ou d’échec probable. Nous sommes face à un processus dynamique, complexe, opaque, qui va réclamer des mois. On peut néanmoins constater plusieurs facteurs favorables. Le premier est la volonté sans précédent du Hamas de réussir la réconciliation « à tout prix », selon l’expression d’Ismaïl Haniyeh, le chef de son bureau politique. Le deuxième facteur favorable est le rôle prépondérant joué par l’Egypte, à la fois hôte, médiateur et surveillant en chef des négociations, rappelant chacun à sa responsabilité historique.

Le troisième facteur concerne la bienveillance silencieuse des Etats-Unis, qui tout en considérant le Hamas comme une organisation terroriste (au même titre que l’Union européenne), ne s’opposent pas à ce rapprochement entre factions. Chacun comprend que, au-delà des perspectives de paix très nébuleuses avec Israël, qui poursuit sa politique de colonisation en Cisjordanie, la priorité absolue était de desserrer l’étreinte autour de la bande de Gaza, soumise depuis dix ans au double blocus israélien et égyptien.

Jedoute : Comment peut-on croire à ce énième accord, sachant que la question la plus épineuse reste la sécurité à Gaza ? A la tête d’une aile armée estimée à environ 25 000 hommes, le Hamas est-il prêt à rendre les armes à l’Autorité palestinienne ? De hauts dirigeants ont déjà dit que c’était hors de question. Abbas a prévenu qu’il n’accepterait pas « qu’on clone l’expérience du [mouvement terroriste chiite] Hezbollah au Liban ».

Piotr Smolar : Du point de vue sécuritaire, on note là aussi des avancées et des incertitudes pour la suite. Le Hamas a accepté de se retirer de la gestion de la police quotidienne, à l’intérieur de la bande de Gaza. Le contrôle des forces du ministère de l’intérieur, qui représentent environ 20 000 hommes, va revenir à l’Autorité palestinienne. Plusieurs milliers de policiers de l’Autorité palestinienne pourraient se fondre dans cet ensemble, tandis que la direction du ministère sera probablement changée.

Mais le sujet explosif qui, pour l’heure, n’a pas été abordé, vous avez raison, c’est le sort de la branche militaire du Hamas, de ses hommes en armes, de ses milliers de roquettes, de ses infrastructures comme les tunnels à l’intérieur de Gaza et ceux vers l’extérieur, pour les trafics ou bien pour des scénarios d’attaque contre Israël. Le 21 novembre, les factions doivent se retrouver au Caire pour aborder notamment ce volet. Mahmoud Abbas et son entourage ont déjà fait savoir que l’Autorité palestinienne devait s’assurer d’un monopole sur les armes.

Mais il est très difficile d’imaginer que le Hamas renonce au contrôle matériel de son arsenal. Il perdrait alors, sur le plan palestinien, une grande partie de son pouvoir, même si ce geste permettrait largement de « décontaminer » le mouvement à l’étranger. Il est possible d’envisager, en revanche, d’autres gestes forts de la part du Hamas. Comme son engagement à se plier à la ligne non violente contre l’occupant israélien, respectée depuis toujours par Mahmoud Abbas. Cela pourrait impliquer que le Hamas n’organise pas d’attaques contre les Israéliens en Cisjordanie ou de Cisjordanie.

Noé : Comment a réagi Israël à cette annonce d’accord ?

Piotr Smolar : La presse israélienne souligne la réaction mesurée et attentiste des autorités, surtout en contraste avec la tentative précédente de rapprochement Fatah-Hamas, en avril 2014. Israël a réagi une première fois lors de la tenue du conseil des ministres palestinien, le 3 octobre à Gaza, Benyamin Nétanyahou a parlé de « réconciliation bidon » et a exigé notamment la rupture des relations entre le Hamas et l’Iran, ainsi que la démilitarisation du mouvement islamiste. Le premier point a disparu hier soir. Ce n’est pas la proximité du Hamas avec l’Iran qui se joue aujourd’hui, mais plutôt son éloignement avec sa maison mère, les Frères musulmans, et son rapprochement avec l’Egypte.

Sur sa page Facebook hier soir, le premier ministre israélien a écrit que la réconciliation « rendait la paix bien plus difficile à atteindre ». Dans un communiqué, il a aussi réclamé la reconnaissance d’Israël par toutes les factions palestiniennes et la libération des deux civils détenus à Gaza par le Hamas, ainsi que la restitution du corps de deux soldats tués lors de l’opération « Bordure protectrice », à l’été 2014.

La position mesurée de M. Nétanyahou s’explique par plusieurs facteurs. Le premier est l’implication fondamentale de l’Egypte dans les négociations. Le Caire joue une carte majeure pour affirmer son importance régionale, notamment aux yeux des Etats-Unis, qui prétendent relancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens. Le Hamas et le Fatah ont tous deux salué l’implication exigeante de l’Egypte. Israël, lié par un traité de paix et une collaboration sécuritaire très poussée avec le régime de Sissi, ne veut pas donner le sentiment de lui scier la branche.

La deuxième raison est humanitaire. L’appareil sécuritaire israélien plaide depuis longtemps pour des mesures favorables à la population de Gaza, deux millions de personnes vivant dans des conditions de misère et d’insalubrité. La pression financière imposée par l’Autorité palestinienne depuis mars n’a fait qu’exacerber la crise humanitaire, notamment avec la réduction de l’électricité à une poignée d’heures quotidiennes. Enfin, la dernière raison est purement tactique. Il reste de tels obstacles à surmonter pour que la réconciliation entre factions soit vraiment complète qu’Israël ne veut pas gaspiller son énergie à ce stade. L’Etat hébreu sait notamment que le désarmement du Hamas est l’équation finale du processus, que les Israéliens ne passeront pas sous silence.

Renelatop : Pensez-vous que la sortie d’Israël et des Etats-Unis de l’Unesco a un lien avec l’accord entre le Fatah et le Hamas ?

Piotr Smolar : Il est tentant de le penser, en raison de la coïncidence de calendrier, mais je suis convaincu du contraire. Les deux événements répondent à des séquences distinctes. Israël et les Etats-Unis sont vent debout contre l’Unesco depuis longtemps. Il suffit de reprendre les réactions outragées de Benyamin Nétanyahou, depuis un an, à chaque résolution défavorable, votée par l’organisation, qui nierait selon les Israéliens leurs liens spirituels, religieux et historiques avec des lieux saints, comme le mont du Temple (esplanade des Mosquées pour les musulmans), à Jérusalem-Est. S’il fallait souligner une collision entre deux événements, ce serait plutôt entre ce retrait américano-israélien de l’Unesco et le processus de désignation d’un nouveau directeur général, au sein de cette organisation.

Fitz : Peut-on imaginer que le Hamas devienne fréquentable, comme autrefois l’OLP, ou la nature du mouvement est-elle profondément différente ?

Piotr Smolar : Cette question, peu abordée dans le débat public en Israël, est très importante. Le mouvement islamiste armé a opéré un virage, plus tactique qu’idéologique, depuis le début de l’année. D’abord, il a changé de direction, avec Ismaïl Haniyeh à la tête du bureau politique, et surtout Yahya Sinouar, pour le diriger à Gaza. Ce dernier joue, selon toutes les sources, un rôle fondamental dans la mue du mouvement, y compris en brusquant et réduisant les circuits de décision au sein du Hamas.

Cette mue se manifeste par une prise de distance radicale vis-à-vis des Frères musulmans, par un rapprochement spectaculaire avec l’Egypte – qui exige, en échange, la rupture de tout contact avec les djihadistes dans le Sinaï, qui harcèlent son armée –, par une modification aussi de son langage. Dans une version révisée de sa charte, le Hamas a expurgé les relents antisémites épouvantables qui l’escortaient depuis sa création. Il a désigné le « projet politique sioniste » de conquête des terres palestiniennes comme ennemi, et non plus les juifs. Enfin, Sinouar a été un acteur majeur du processus de réconciliation engagé avec l’Autorité palestinienne. L’Egypte mise énormément sur son aura, son charisme, son influence.

De là à devenir fréquentable auprès des pays occidentaux, il reste bien du chemin à parcourir. Le Hamas devra répondre à la question de son désarmement. S’il préfère suivre le modèle du Hezbollah libanais, avec une activité classique de parti politique et une force armée massive, il paraît improbable que les Etats-Unis et les Européens le reconnaissent comme un interlocuteur légitime.

Pongo : Grâce à cette réconciliation, la solution des « deux Etats » va-t-elle mieux pouvoir avancer ? Sur quelles limites territoriales ? Merci !

Piotr Smolar : Le processus de réconciliation palestinienne doit être analysé de façon distincte, par rapport à l’évanescente « solution à deux Etats », un horizon promis par les accords d’Oslo (1993) qui paraît plus éloigné que jamais. L’administration Trump a fait de la relance des négociations israélo-palestiniennes l’un de ses objectifs majeurs de politique étrangère. Les envoyés spéciaux du président américain, en particulier l’avocat Jason Greenblatt, ont multiplié les entretiens depuis huit mois avec l’Autorité palestinienne et le gouvernement israélien. Washington doit avancer ses propositions d’ici la fin de l’année, mais les Palestiniens regardent ces efforts avec un scepticisme énorme. L’administration ne parle jamais publiquement de « solution à deux Etats » et elle a développé une tolérance inédite envers les projets de construction israéliens en Cisjordanie.

Adrien : Doit-on s’attendre à des tensions à Gaza lorsque le gouvernement tentera de régler le problème des fonctionnaires, recrutés en surnombre par le Hamas ?

Piotr Smolar : Le premier motif de tension possible, à Gaza, tient à la non-levée immédiate des mesures punitives prises par l’Autorité palestinienne depuis mars. Je pense en particulier à l’électricité. L’Autorité palestinienne a réduit les paiements des livraisons effectuées par Israël, de sorte que les Gazaouis n’ont disposé ces derniers mois, en moyenne, que de quatre heures de courant par jour. Or, contrairement aux attentes du Hamas, qui est entré dans les négociations sans préconditions, l’Autorité palestinienne n’a pas levé, à ce jour, ces mesures. Hier, le conseiller diplomatique de Mahmoud Abbas me disait qu’il fallait d’abord vérifier la mise en œuvre de tous les volets de l’accord signé hier. Donc, pas de soulagement pour la population avant le 1er décembre.

Concernant les employés des services publics, la question est à la fois politique et financière. Politique, car chaque faction a des milliers d’obligés, de familles dépendant de son soutien et de ses emplois. Pendant dix ans, le Fatah a conservé dans la bande de Gaza des milliers d’employés rémunérés alors qu’ils restaient chez eux. Un comité technique va être mis en place pour gérer la question des employés. En septembre 2014, la Suisse avait tenté de jouer un rôle de facilitateur entre les factions, pour avancer sur ce dossier. Elle avait dessiné une feuille de route, par étapes, qui prévoyait notamment des départs à la retraite et des reconversions. Le plan suisse rappelait un point fondamental : à l’époque déjà, la part des salaires dans la fonction publique palestinienne représentait plus de 17 % du PIB. C’est totalement démesuré.

Lilith : L’Union européenne avait posé comme condition, pour reconnaître le Hamas, qu’il adhère aux accords d’Oslo. Actuellement, est-ce réaliste ?

Piotr Smolar : Le Hamas affiche sa volonté de renoncer au contrôle politique et administratif de la bande de Gaza. Son objectif est de réintégrer les institutions palestiniennes, dont l’OLP. A ce titre, comme simple faction ou parti, il estime qu’il n’a pas à reconnaître Israël. L’OLP l’a déjà fait. Le 9 septembre 1993, Yasser Arafat, dans une lettre adressée à Yitzhak Rabin, alors premier ministre israélien, écrivait ceci : “L’OLP reconnaît le droit de l’Etat d’Israël à exister dans la paix et la sécurité.” Le Hamas dit aujourd’hui qu’il se pliera à la direction décidée par l’Autorité palestinienne. Avec deux réserves : la première est qu’il considère comme totalement stérile la stratégie de négociations avec Israël depuis vingt-quatre ans. La deuxième est que le mouvement islamiste réclame des élections générales, pour offrir une nouvelle légitimité aux institutions palestiniennes.