Les Autrichiens sont appelés à renouveler leurs députés le dimanche 15 octobre. Trois partis font la course en tête : les conservateurs de l’ÖVP et les sociaux-démocrates (SPÖ) qui dirigent jusqu’à présent le pays au sein d’une coalition menée par le chancelier social-démocrate Christian Kern mais aussi le parti de la Liberté (FPÖ), un parti d’extrême-droite qui, selon les sondages pourrait obtenir environ 27% des voix, moins que l’ÖVP (33%) mais davantage que le SPÖ (23%). Le politologue Peter Filzmaier, enseignant à l’université de Graz, explique les enjeux de ce scrutin.

Qu’est-ce qui explique ce bon score attendu de l’extrême-droite dans un pays où le chômage est quasi-inexistant ?

Pour être bref, il y a trois motifs centraux : La déception vis-à-vis des partis traditionnels du gouvernement, les Conservateurs et les sociaux-démocrates, la nostalgie d’un passé glorieux et le sentiment d’être les perdants de la mondialisation. Les électeurs se sentent économiquement et socialement affaiblis par rapport au passé. Et ils en font porter la responsabilité aux partis politiques établis.

Une participation de l’extrême droite incarné par le FPÖ au gouvernement est-elle probable ?

Bien sûr que oui. Des désaccords importants séparent les conservateurs et les sociaux-démocrates. Donc, il y a le FPÖ (Freiheitliche Partei Österreichs), le Parti de la Liberté, qui reste comme seule alternative pour une coalition. L’ÖVP (le parti conservateur) se trouvait déjà dans une coalition avec le FPÖ pendant cinq ans de 2000 à 2005. Dans la région Haute-Autriche, ils gouvernent actuellement ensemble. Cette possibilité est donc loin d’être exclue au niveau national.

Y-a-t-il une alternative ?

Les coalitions à trois partis différents, par exemple avec les Conservateurs, les Verts, et les libéraux, sont mathématiquement peu probables. Et comme l’ÖVP vient de se séparer des sociaux-démocrates, il n’y a pas de choix. D’ailleurs, l’actuel chancelier Christian Kern qui est en même temps le président du SPÖ (le parti social-démocrate) n’a pas exclu non plus de travailler avec le FPÖ. Il a juste annoncé qu’il y aurait un vote parmi les membres de son parti sur tout projet d’accord de coalition.

Peut-on comparer le FPÖ avec le Front National ?

Il existe sûrement des similarités entre les deux partis. Notamment cette vision nationale vis-à-vis du monde. Mais d’autres aspects distinguent clairement le FPÖ du FN : Les frontistes n’ont jamais partie d’un gouvernement français tandis que les « Freiheitlichen » ont participé au gouvernement à deux reprises, entre 1983 et 1986 avec les sociaux-démocrates, et entre 2000 et 2005 avec les conservateurs. Le FPÖ a gagné plus de voix venant de la gauche que de la droite. En plus, le vote FPÖ comporte des facteurs très spécifiques liés à l’Autriche et son histoire.

L’Europe a-t-elle joué un rôle pendant la campagne électorale ?

Indirectement, oui. L’immigration a constitué un thème très important. Toutefois, même dans ce débat l’accent était plutôt sur la question « Qu’est-ce que l’Autriche peut faire ? », et non « Qu’est-ce que l’Autriche peut faire en Europe ? ». Il n’a jamais été question d’une action politique européenne.

Il n’y a donc eu aucun débat sur les propos du Président Macron et sa « Refondation de l’Europe » ?

Pas du tout. Il est assez logique qu’au cours d’une campagne électorale nationale, aucun parti ne veut discuter de la réduction des compétences nationales pour les passer à l’Union Européenne.

Le candidat des conservateurs, Sebastian Kurz, est encore plus jeune qu’Emmanuel Macron. A 31 ans, il est le favori pour la chancellerie. Voyez-vous une parallèle entre lui et le Président de la République française ?

Non. Emmanuel Macron faisait partie du gouvernement socialiste et l’a quitté pour fonder un nouveau mouvement. Sebastian Kurz, par contre, est un homme politique chrétien-conservateur qui a été ministre des affaires étrangères à 27 ans, qui est devenu chef du parti conservateur bien établi dans le paysage politique et qui veut continuer à utiliser les structures qui ont été mises en place il y a déjà longtemps. L’un des atouts de M. Kurz, c’est d’avoir su utiliser les vieilles structures du parti et ses permanents. Et puis, son parti a amassé une caisse de 60 millions d’euros de deniers publics. Rien que sept millions d’euros en 2016. Vu sous cet angle, il est le contraire d’Emmanuel Macron.

Comment expliquer son ascension ?

Les Autrichiens se languissent de quelqu’un de nouveau. Sebastian Kurz a réussi à faire passer son parti pour un mouvement nouveau, en en étant le chef, alors que le parti conservateur a été fondé en 1945.

Pendant cette campagne, Sebastian Kurz est souvent revenu sur l’identité autrichienne et l’islamisation. Jusqu’à quel point a-t-il flirté avec l’extrême droite ?

Flirter n’est pas le bon mot, bien au contraire : Il a essayé d’enlever les « sujets méta », l’immigration et l’islam, à l’extrême-droite.

Quel est le pouvoir du chancelier autrichien ?

D’un point de vue formel, il n’en a pas. Selon la Constitution, le chancelier autrichien est « primus inter pares » au sein du gouvernement. Il n’a pas lel droit de donner des ordres aux ministres, même à ceux de son propre parti, contrairement à la chancelière allemande par exemple. De manière politiquement réaliste, il est important que le parti du chancelier ait nettement plus de voix que son partenaire de la coalition. C’est la seule façon pour le chancelier d’être l’homme fort de son parti et du gouvernement.

Quel comportement attendez-vous du nouveau gouvernement à l’égard de l’Europe?

L’Autriche est un petit Etat et elle ne pourra pas changer de manière décisive la politique de l’UE. Les conservateurs, affirmés comme parti proeuropéen classique, ne sont pas intéressés par des alliances fortes avec la Hongrie et la Pologne par exemple. C’est même plutôt l’inverse. Sebastian Kurz voit l’Union Européenne comme une part de la solution et pas comme un problème. Il demandera de tous les partenaires un engagement pour l’UE. L’ÖVP est quand même la sœur de la CDU et la CSU en Allemagne. Ils s’orienteront encore plus vers l’Allemagne et Angela Merkel, même si Sebastian Kurz la critique souvent. Le FPÖ, si il entre au gouvernement, provoquera certainement quelques perturbations diplomatiques. Mais cette formation voudra aussi se montrer plus modérée pour ne pas être diabolisée.