Place de la Bastille, à Paris, le 16 octobre 2017. Une femme et l’artiste contestataire russe Piotr Pavlenski ont incendié les bureaux de la Banque de France. / MARC CHAUMEIL / DIVERGENCE

L’artiste performeur russe Piotr Pavlenski a été arrêté par la police, lundi 16 octobre à l’aube, pour avoir mis le feu à l’antenne de la Banque de France située place de la Bastille, à Paris. Peu après 4 heures du matin, l’artiste a aspergé d’essence deux fenêtres encadrant l’entrée du bâtiment, avant d’y mettre le feu. La police est arrivée rapidement, et a embarqué M. Pavlenski et la femme qui l’accompagnait au commissariat voisin, vers 4 h 15.

Pavlenski, réfugié en France depuis le mois de janvier, a utilisé la même méthode que pour les actions qui l’ont rendu célèbre en Russie : convoquer, au dernier moment, des photographes et des caméras. « Nous étions quatre ou cinq, dont deux cartes de presse, relate le photographe Marc Chaumeil, de l’agence Divergence Images. Je ne le connaissais pas avant, et un contact m’a proposé hier de venir à Bastille dans la nuit. »

Piotr Pavlenski a distribué aux journalistes présents un communiqué de quelques lignes, censé expliquer cette action baptisée Eclairage :

« La Bastille a été détruite par le peuple révolté ; le peuple l’a détruite comme symbole du despotisme et du pouvoir. Sur ce même lieu, un nouveau foyer d’esclavage a été bâti. (…) La Banque de France a pris la place de la Bastille, les banquiers ont pris la place des monarques. (…) La renaissance de la France révolutionnaire déclenchera l’incendie mondial des révolutions. »

Les photos prises sur les lieux rappellent fortement la dernière action d’envergure menée en Russie par l’artiste : l’incendie, en novembre 2015, de la porte principale de la Loubianka, le siège historique des services de sécurité russes. Cette action lui avait valu de passer sept mois en détention préventive, avant d’être finalement condamné à une simple amende. L’artiste, qui se revendique de « l’art politique », avait transformé son procès en performance en invitant des prostituées à y témoigner, pour moquer la soumission de la justice russe au pouvoir politique.

Piotr Pavlenski, 33 ans, qui s’inscrit dans la tradition déjà ancienne de l’actionnisme russe, est aussi connu pour s’être enroulé nu dans du fil barbelé ou s’être cloué les testicules sur les pavés de la place Rouge, une « métaphore de l’apathie, de l’indifférence politique et du fatalisme de la société russe ». Il s’était aussi cousu les lèvres en soutien aux Pussy Riot, un groupe de jeunes femmes condamnées à deux ans de camp pour avoir « profané » la cathédrale du Christ-Sauveur, à Moscou, au cours d’une prière punk. Interné à plusieurs reprises en asile psychiatrique, aucune expertise ne l’a jamais déclaré fou.

Procédure judiciaire

C’est une toute autre affaire qui a finalement précipité son départ de Russie, en janvier. L’artiste et sa femme, Oksana Chaliguina, avaient obtenu au début de mai le statut de réfugiés politiques en France, où ils avaient fui avec leurs deux enfants à la suite du déclenchement d’une procédure judiciaire pour agression sexuelle, en décembre 2016. A l’origine des accusations, une jeune comédienne du Teatr.Doc, qui dit avoir été violentée, blessée et s’être fait lacérer ses vêtements par Pavlenski et sa compagne.

Ces accusations avaient causé la stupeur dans les milieux artistiques et d’opposition russes, le Teatr.Doc étant lui-même considéré comme proche de l’opposition. M. Pavlenski, lui, a toujours contesté les faits, et dénoncé dans les poursuites une persécution politique. Après son interpellation à l’aéroport de Moscou, en décembre 2016, il avait raconté :

« On nous a expliqué qu’on avait en gros deux possibilités (…), aller en prison dans un camp pour dix ans, avec tout le loisir d’expliquer aux autres prisonniers qu’on avait été victimes d’une sale intrigue, ou partir de Russie. »
Lire (en édition abonnés) : Piotr Pavlenski, à feu et à sang

Depuis son installation en France, la famille Pavlenski vivait pauvrement, changeant souvent d’appartement. Dans un entretien au mois de mai à Radio Svoboda, l’artiste avait expliqué avoir refusé toute aide sociale et logement, disant travailler « pour les gens et pas pour l’Etat ». Il estimait aussi, en pleine campagne présidentielle, qu’« on laisse le choix aux gens entre libéralisme et fascisme ».

Dans un autre entretien, accordé en septembre à la radio allemande Deutsche Welle, il expliquait squatter un appartement et voler de la nourriture dans les magasins, disant « vivre comme la plupart des Français ».