Dans l’université de Barcelone, en plein centre-ville. Tous ont fait silence pour écouter le discours d’une association étudiante indépendantiste, Universitats per la Republica. / JOSEP LAGO / AFP

A midi ce mardi 17 octobre, Barcelone a suspendu son souffle quelques instants. Alors que le conflit n’en finit pas de s’envenimer entre Madrid et les pro-indépendantistes catalans, la capitale de la Catalogne s’est murée dans le silence à la mi-journée, le temps de réclamer la libération de deux importants responsables indépendantistes placés en détention la veille.

Aux yeux de nombreux partisans de l’indépendance catalane, cette décision est vécue comme « la goutte d’eau… » et une forme « d’acharnement » de la part du pouvoir central, après plus de quinze jours de crise politique conduisant à l’impasse. Tandis que des centaines d’employés quittaient leurs bureaux pour se réunir en silence dans la rue, les différentes universités de la capitale catalane se sont remplies d’étudiants et de professeurs partisans de l’indépendance.

Dès lundi soir et l’annonce de la détention des deux leaders indépendantistes, le mot s’est diffusé comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux pour appeler à des rassemblements : d’abord à midi par une « pause dans la journée de travail » puis, surtout, ce soir à partir de 20 heures, pour une marche sur l’une des grandes artères de Barcelone, bougies à la main.

Massés dans la cour du bâtiment historique de l’université de Barcelone, en plein centre-ville, tous ont fait silence pour écouter le discours d’une association étudiante indépendantiste, Universitats per la Republica (Universités pour la République). Au micro, les jeunes militants demandent la « libération immédiate » de ceux qu’ils estiment être des « prisonniers politiques » – reprenant les mots du leader indépendantiste catalan Carles Puigdemont. Mais ils appellent aussi le Parlement catalan à rendre effective l’indépendance et à proclamer cette République catalane qu’ils n’en peuvent plus d’attendre.

« Maintenant c’est trop, ça dépasse le cadre politique, ça touche toute la société »

Aniol Costa, l’un des porte-parole de l’association, qui affiche ses couleurs catalanes sur son tee-shirt, juge ces détentions « impensable dans une démocratie » et au sein de l’Union européenne. « S’ils touchent à l’un de nous, ils touchent à nous tous », met en garde l’étudiant. « En emprisonnant nos représentants, le gouvernement ne fait que jeter de l’huile sur le feu et va pousser encore plus de Catalans dans la rue », prévient-il, bien que le Haut tribunal espagnol qui a décidé de l’arrestation est totalement indépendante du pouvoir politique. A l’appui, Aniol Costa montre sur son téléphone les photographies des autres campus de Barcelone, noirs de monde au même moment.

Alors que les deux dirigeants indépendantistes sont accusés d’avoir joué un rôle clé dans l’organisation, en septembre, d’une manifestation pendant laquelle des gardes civils espagnols avaient dû se retrancher dans un bâtiment administratif de Barcelone, beaucoup d’étudiants pro-indépendantistes font part ici de leur désapprobation et de leur sentiment d’une « manipulation » : « Il s’agissait d’une manifestation pacifique », affirment-ils.

Pour Alba Marin, 20 ans, visage doux et poupin, ces détentions sont « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Cette étudiante en histoire de l’art n’est pas militante, mais partage « le sentiment d’acharnement » et d’« oppression » de la part du pouvoir central. « Maintenant c’est trop, ça dépasse le cadre politique, ça touche toute la société », estime cette Barcelonaise de naissance, qui a voté « oui » au référendum d’autodétermination.

Issue d’une famille catalane, la jeune fille ne masque pas sa déception :

« Au début j’étais enthousiaste, j’y croyais au pouvoir de la rue. Aujourd’hui je suis de plus en plus triste et en colère, j’ai l’impression qu’après nous avoir privés de nos droits on nous prive de nos libertés. »

« Ils espèrent tuer le mouvement, mais n’y arriveront pas »

« Au moins, par cette décision, le gouvernement espagnol montre son vrai visage », grince de son côté Aina Delgado Morell, 23 ans, étudiante en médecine et représentante de l’association étudiante Universitats per la Republica. « Depuis le 1er octobre, à force de décisions injustes, le gouvernement a contribué à renforcer la cohésion du peuple catalan. Beaucoup qui n’étaient pas ralliés à la cause indépendantiste le sont devenus », remarque-t-elle.

Elle ne cache pas sa colère quant au « refus de dialogue » du gouvernement espagnol. « Qu’est-ce qu’ils veulent, mettre tous nos représentants en prison avant d’être prêts à dialoguer ? Ce n’est pas ce que j’appelle un dialogue ! », s’énerve-t-elle à grands coups de moulinets de bras. « En arrêtant nos représentants, ils espèrent tuer le mouvement, mais ils n’y arriveront pas », prévient la jeune fille brune, qui convoque les images d’autres moments de l’histoire où les Catalans « ont résisté à l’oppression ».

Pour elle, ces arrestations ne sont « pas la goutte d’eau… », comme le disent d’autres personnes, « car le vase est plein depuis bien trop longtemps ». La décision de la Cour constitutionnelle espagnole de déclarer « l’inconstitutionnalité et la nullité de la totalité de la loi de Catalogne du 6 septembre, nommée “loi du référendum d’autodétermination”, suspendue préventivement le 7 septembre » n’entachera en rien sa mobilisation.

Ce soir, comme tous ici, elle arpentera la grande artère de Barcelone où est prévue une grande marche avec des bougies. En espérant que la mobilisation sera aussi importante que les précédentes.