Habile orateur, Jacob Rees-Mogg a enthousiasmé les participants du congrès du parti conservateur, début octobre, à Manchester. / Carl Court/Getty Images/AFP

Dans l’Angleterre déboussolée par le Brexit, l’idée que Jacob Rees-Mogg puisse devenir premier ministre n’est plus seulement une source inépuisable de sketches comiques. Opposant à l’avortement même en cas de viol, convaincu que la Sécurité sociale est « un piège », le député du Somerset (sud-ouest de l’Angleterre), qui semble sorti tout droit de Downton Abbey avec sa Bentley de collection, ses vestes croisées et sa montre à gousset, a été, début octobre à Manchester, la star du congrès du Parti conservateur.

Alors que Theresa May, secouée par une toux persistante, perdait pied en échouant à prononcer son grand discours de reconquête des tories, l’ultraréactionnaire M. Rees-Mogg rassemblait plus de huit cents supporteurs enthousiastes dans la grande salle néogothique de l’hôtel de ville de Manchester sur le thème de la défense d’« un Brexit vraiment conservateur ».

Il y a fait montre de ses parfaites manières de gentleman et d’habile politicien. Alors qu’un groupe de militants de gauche perturbait la réunion en l’injuriant, il a tranquillement engagé avec eux, devant caméras et smartphones, un dialogue délicieusement british : « Vous êtes un odieux personnage ! Dégagez d’ici, vous n’êtes pas le bienvenu ! – Nous pouvons avoir des désaccords, mais cela ne fait pas de moi une mauvaise personne. »

Raie sur le côté et autodérision

Trublion comme Boris Johnson, enfant gâté de la grande bourgeoisie et ultra-pro-Brexit comme lui, Jacob Rees-Mogg se distingue pourtant notablement de l’ancien maire de Londres. Pas seulement par son physique de clergyman en lame de couteau, sa raie sur le côté et ses airs de premier de la classe qui tranchent avec la tignasse ébouriffée et les airs de fêtards de « Boris ». L’étoile montante des tories arbore des convictions inébranlables, une éloquence parfaite et une autodérision aux antipodes du parfait opportunisme et de l’ego illimité de M. Johnson.

« Qui suis-je pour vous interdire de manger du poulet lavé à l’eau de Javel ? » Jacob Rees-Mogg

« Je suis désolé de vous dire qu’il m’est arrivé d’être jeune. Je n’étais pas très bon pour cela », lance le député sans âge devant les militants au congrès conservateur. Et quand il se félicite, lui, le père de famille nombreuse, de n’avoir « jamais changé une couche » de sa vie car « la nounou le fait magnifiquement », le public hésite entre rire jaune et colère.

Tandis que Theresa May oscille entre individualisme libéral et justice sociale, entre rupture avec l’Union européenne et liens privilégiés avec le « continent », le député qui se flatte de ne jamais avoir porté un jean de sa vie et de « ne pas être un homme moderne » choisit clairement son camp. Celui d’un royaume « reconnecté avec son histoire millénaire » et d’un Brexit ultralibéral qui transformerait le pays en un vaste Singapour déréglementé aux portes de l’Europe. « Qui suis-je pour vous interdire de manger du poulet lavé à l’eau de Javel ? », interroge-t-il encore pour défendre un accord de libre-échange avec les États-Unis.

Parti à la dérive cherche certitudes tranchées

A la faveur du vide médiatique estival, ce député et ses outrances avaient déjà fait
le bonheur de la presse britannique en juillet-août. La naissance de son sixième enfant, modestement prénommé Sixtus Dominic Boniface Christopher, a déchaîné les passions sur les réseaux sociaux, et pas seulement les moqueries. Dans un Parti conservateur qui ne sait plus très bien où il habite, ni en matière sociale ni sur l’Europe, les certitudes tranchées de cet aristocrate catholique de 48 ans séduisent.

Le député considère la moindre concession aux 27 États de l’Union européenne comme une « menace pour le Brexit ».

Fils d’une grande famille d’investisseurs miniers, passé par Eaton et Oxford, aujourd’hui à la tête d’un fonds d’investissement de 8,5 milliards de dollars, M. Rees-Mogg trouve la multiplication des banques alimentaires « très réconfortante » pour la réputation de générosité du Royaume-Uni et considère la moindre concession aux 27 États de l’Union européenne comme une « menace pour le Brexit ».

Ses proclamations de loyauté trop appuyées envers Mme May et sa façon exquise de réfuter toute ambition pour Downing Street ont de quoi inquiéter la première ministre. Déjà, M. Rees-Mogg figure parmi les favoris pour une succession à Downing Street chez les membres du parti tory.

Ses partisans tentent d’accréditer l’idée d’un « Moggmentum » sur le modèle de « Momentum » (« élan »), le mouvement pro-Jeremy Corbyn au sein du Labour. Après tout, le désormais populaire leader travailliste, venu de l’extrême gauche, était considéré lui aussi, il y a peu, comme un boulet électoral pour son parti.