Une affiche de Xi Jinping à Huangshan, dans la province d’Anhui, en Chine, le 16 septembre. / ALY SONG / REUTERS

Carl Minzner est professeur à la Fordham University, à New York. Pour ce sinologue américain, spécialiste de la politique et du droit, le numéro un chinois Xi Jinping, qui verra son deuxième mandat de cinq ans confirmé lors du 19e Congrès du Parti communiste chinois qui s’ouvre mercredi 18 octobre, ouvre un nouveau cycle en rompant certaines règles du Parti, et consacre la fin de la période des réformes qui avait commencé en 1978.

Certains voient Xi Jinping comme un nouveau Mao, d’autres le considèrent comme le Poutine chinois. Quel est votre jugement ?

La Chine arrive à la fin de l’ère des réformes, lancée en 1978 et marquée par une croissance économique robuste, un certain degré d’ouverture idéologique vers le monde extérieur et des normes politiques partiellement institutionnalisées. Sous Mao, la règle du jeu, c’était la loi de la jungle. Mais à partir de 1978, des règles ont été mises en place concernant les départs à la retraite et les procédures de succession des hauts dirigeants. Les institutions du Parti communiste chinois ont été normalisées ; il y a eu des réunions et des sessions régulières, contrairement à l’époque de Mao. Les dirigeants ont commencé à vouloir diriger en s’appuyant sur la loi.

Mais, ces dix dernières années, donc avant même l’arrivée de Xi Jinping, ces normes ont commencé à être assouplies. Xi, qui cherche à affirmer son propre pouvoir, a renforcé cette tendance. Est-il un nouveau Mao pour autant ? Pas encore, je dirais. L’une des principales normes en vigueur depuis 1978 était le refus des mouvements de masse. Ce qui caractérisait le régime de Mao dans les années 1950 et 1960, c’était la volonté des hauts dirigeants de mobiliser les étudiants ou le peuple pour se débarrasser de leurs opposants politiques. Aucun signe ne montre que Xi Jinping cherche à y revenir. Mais on voit qu’il cherche à remettre en cause progressivement des normes politiques qui avaient été partiellement institutionnalisées, caractéristiques de la période des réformes et qui avaient permis de renforcer la stabilité du système.

Quelles sont ces normes que Xi Jinping est en train de modifier ?

Je vais en donner une : sous Mao, personne n’était à l’abri, regardez Liu Shaoqi [président de la République et présenté comme le successeur de Mao, il avait été jeté en prison au moment de la Révolution culturelle, où il est mort en 1969] ou Lin Biao [désigné comme successeur de Mao, ce général est mort dans un accident d’avion en tentant de fuir vers l’URSS en 1971]. Tous ceux qui étaient désavoués pouvaient être limogés de manière spectaculaire.

Après 1978, les dirigeants chinois ont décidé qu’il fallait s’écarter de cette loi de la jungle. Une règle implicite voulait que les membres du comité permanent du bureau politique, ceux qui sont tout en haut du système, ne soient jamais inquiétés pour corruption par exemple. Ainsi Zhao Ziyang, démis de ses fonctions de secrétaire général du Parti communiste après Tiananmen [la répression du mouvement démocratique en 1989], a été placé en résidence surveillée, mais n’a pas été mis en prison.

Après 2012, on a vu avec Zhou Yongkang [ancien membre du comité permanent du bureau politique chargé de la sécurité, condamnée en 2015 à la prison à vie pour corruption] l’utilisation d’une campagne politique pour se débarrasser de quelqu’un qui auparavant était intouchable. C’était un signal adressé à l’ensemble des membres du Parti que plus personne n’était hors de danger. Et aussi une manière d’obtenir que la bureaucratie soit plus souple et qu’on puisse obtenir d’elle ce qu’on veut.

Xi Jinping essaie d’inventer un nouveau modèle pour la Chine ?

Il essaie de casser certains éléments du système actuel, il cherche à sauver le Parti communiste. Sous Jiang Zemin, le pouvoir et l’argent ont commencé à fusionner, la corruption a commencé à s’infiltrer dans le parti. Dans le même temps, tous les dirigeants issus de la révolution avaient disparu, ce qui a abouti à une équipe dirigeante à la légitimité faible. Lorsque Xi est arrivé au pouvoir en 2012, il est tombé sur ce système de factions, totalement bloqué. Il a jugé qu’il fallait changer cela. Il a décidé de renforcer son pouvoir pour changer les choses. C’est pour cela que la campagne anticorruption est importante, car elle permet à la fois de se débarrasser des opposants mais aussi d’inquiéter ceux qui sont au sein du système si jamais ils ne font pas ce que Xi Jinping souhaite.

Pourquoi utilise-t-il toutes ces références au maoïsme des années 1940 et 1950 ? Cela semble un paradoxe dans la Chine de ce début du XXIe siècle ?

Il pense que le Parti communiste a reçu pour mission de gouverner la Chine. Cette rénovation idéologique vient de l’idée que le parti a perdu de sa vigueur idéologique à la fin de la période des réformes. Cette volonté de revenir sur le début de la révolution est une tentative pour redorer le blason du parti. Il faut aussi regarder du côté de cette « belle culture traditionnelle » que Xi Jinping ne cesse de mettre en avant, cette invocation du confucianisme aussi.

La Chine est techniquement encore communiste, mais c’est incroyablement paradoxal, car le communisme c’est la lutte des classes, le prolétariat, or ce qui terrifie aujourd’hui les gens à Pékin c’est justement un soulèvement des ouvriers migrants ou des paysans. La première chose que Xi Jinping a réalisée lorsqu’il a été désigné secrétaire général du Parti communiste [en novembre 2012], c’est d’emmener l’ensemble des membres du comité permanent du bureau politique au Musée national de Pékin pour visiter une exposition consacrée à la « voie de la renaissance ».

Le Parti revient sur le passé, sur les traditions, sur le passé impérial. Quelle est l’idéologie possible aujourd’hui pour un dirigeant chinois ? Ce n’est ni la révolte ni la révolution. Donc le Parti combine l’idéologie communiste et des traditions culturelles comme le confucianisme.

Pour le dire de manière caricaturale, il réconcilie les empereurs, Mao Zedong et Deng Xiaoping ?

Oui. Il y a une sorte de retour à un modèle impérial : on observe une centralisation du pouvoir et on voit aussi le rôle attribué à la commission centrale de la discipline interne, qui ressemble à un organisme impérial des Qing. Mais je ne pense pas que Xi Jinping le fasse de manière intentionnelle. Il ne se dit pas qu’il voudrait être un nouvel empereur, mais il y a des pratiques qui rappellent ce passé.

Xi Jinping affirme désormais que la Chine dispose d’une « solution » qui peut être utilisée par les autres pays, est-ce l’affirmation d’un modèle universel ?

Je ne pense pas que le modèle chinois puisse être exporté, sauf à destination de quelques despotes africains ou d’ailleurs. La Chine a une tradition bureaucratique de deux mille ans, pouvez-vous la reproduire pour des Etats faillis ? Non, bien sûr.