Chris Froome lors de la présentation du tracé du Tour de France 2018. / CHARLES PLATIAU / REUTERS

Le cyclisme mondial, ses coureurs vedettes, ses maquignons inamovibles et son nouveau suzerain officiel, le président de l’Union cycliste internationale David Lappartient, s’est enfermé mardi 17 octobre dans la grande salle du Palais des Congrès pour n’en ressortir que deux heures plus tard un peu groggy et des questions plein la tête. Vingt-deux kilomètres de pavés sur le Tour de France, est-ce bien raisonnable ? Cinq mille mètres de dénivelé pour une troisième journée dans les Alpes, est-ce bien raisonnable ? Sept équipiers seulement pour un Tour si piégeux, est-ce bien raisonnable ?

Amaury Sport Organisation (ASO), organe de facto le plus puissant du cyclisme mondial en sa qualité de propriétaire du Tour de France, en présentait l’édition 2018, qui frappe par la variété des défis proposés aux coureurs, la violence des étapes de montagne et son choix géographique radical, qui consacre neuf jours au Grand Ouest et au Nord et onze sur une diagonale allant du lac d’Annecy au Pays basque. Les maux de tête seront pour les managers d’équipe, forcés de composer avec huit coureurs, et non plus neuf, un effectif à même d’accompagner le leader lors du contre-la-montre par équipes vendéen, dans le vent de Bretagne, sur les pavés du Nord et lors de deux longues semaines en montagne.

Difficile de dégager un vainqueur

Une fois n’est pas coutume, il serait vain de chercher à dégager un grand vainqueur du fruit des réflexions de Thierry Gouvenou, chargé de dessiner le parcours. Chacun trouvera des raisons de se satisfaire. Et pendant que les élus locaux défilaient sur la scène du Palais des Congrès pour être photographiés en pointant du doigt leur ville sur le parcours de la Grande Boucle, aboutissement d’une longue stratégie d’approche et de repas arrosés avec son directeur Christian Prudhomme, aucun coureur en coulisse ne pouvait se plaindre d’un tracé défavorable à ses desseins.

A ce sujet, le Néerlandais Tom Dumoulin, vainqueur du Tour d’Italie grâce à sa domination en contre-la-montre (dont il est devenu champion du monde en septembre), avait bien fait de rester chez lui, car il est a priori le seul perdant d’un parcours qui ne réserve que 31 kilomètres de contre-la-montre individuel, et sur un parcours bosselé. Avec ce tracé, ASO s’est potentiellement privée d’un duel entre Dumoulin et Christopher Froome, que Christian Prudhomme a toutefois appelé de ses vœux mardi. Le drame du leader de l’équipe Sunweb est sans doute d’éclore au moment où un Français peut gagner le Tour de France et abhorre cette discipline si particulière.

Romain Bardet, qui se posait cet été la question de disputer le Tour d’Italie et non le Tour de France, voit dans ce parcours d’autant plus de raisons de privilégier la course qui l’a révélé : « Comment peut-il en être autrement maintenant ? Je ne veux pas fuir mes responsabilités devant le Tour et je serai là à mon meilleur, comme depuis cinq ans. Je ne peux que me réjouir qu’il y ait cet enchaînement d’étapes de montagne et de nouvelles ascensions, des choses qui rendent la course plus difficile à prédire. » Reste que les 35 kilomètres de contre-la-montre par équipe pourraient créer à eux seuls autant d’écart que les six étapes de haute montagne, si la tendance des dernières années se confirme. Et que la formation AG2R-La Mondiale est plutôt mal équipée pour l’exercice.

Les pavés du Nord

Le Tour 2018 n’est évidemment pas fait pour Christopher Froome mais, comme il l’a souligné, ce fut rarement le cas lors de ses quatre victoires passées et il n’a été pris en défaut ni sur les pavés, ni dans les bordures, écueils supposés d’une première semaine où le Tour de France devra se frayer un chemin médiatique en plein dénouement de la Coupe du monde de football. « Je m’attends à une première semaine extrêmement nerveuse car aucune arrivée au sommet n’aura eu lieu, donc tout le monde sera dans la course pour le classement général et ne voudra pas perdre de temps », craint le Britannique, à qui le contre-la-montre par équipes offrira un matelas confortable avant cette périlleuse conquête de l’Ouest.

Pour les favoris du Tour, elle sera « interminable » car riche en dangers, a souligné Bardet, mais elle le sera aussi, c’est à craindre, pour les téléspectateurs. Forcées de se partager des miettes – deux étapes, maximum – dans la seconde moitié de la course, les équipes de sprinteurs ne devraient pas laisser passer les cinq occasions – sur huit étapes en ligne – d’engranger des victoires.

Faute de « ribinoù », ces chemins vicinaux empierrés que l’on trouve au nord de Brest et sur lesquels ASO, après y avoir longtemps pensé, n’a pas osé emmener les coureurs, les pavés entre Arras et Roubaix seront un point d’horizon appréciable. Thierry Gouvenou a vu grand en proposant quinze secteurs pour un total de 21,7 kilomètres de pierres rondes, qu’il faudra avaler vite pour en terminer avant la finale de la Coupe du monde de football (coup d’envoi à 17 heures). Le Tour sera ce jour-là à la merci d’un coup du sort, et les organisateurs croiseront les doigts pour qu’aucune clavicule ou fémur de favori ne se brisent sur les pavés du Nord, ce qui doucherait pour quelques années leurs velléités d’originalité.

« C’est le Tour de France le plus dur que j’ai jamais vu »

Si le Tour ne se joue pas ce 15 juillet, sera-ce le 16, pour la première journée de repos, entre les pavés et une première grande étape dans les Alpes ? « Ca va faire bizarre de passer des gros braquets aux petits plateaux », s’amuse le Breton Warren Barguil, héros du Tour 2017 avec deux victoires d’étape et le maillot de meilleur grimpeur. « Ce passage risque d’être très brutal. On connaîtra déjà beaucoup de vérités de ce Tour au soir de la première étape de montagne », confirme Thierry Gouvenou, qui, ce jour-là, a mis sous les roues des coureurs une piste non goudronnée, celle du plateau des Glières, enjeu patrimonial et visuel plus que sportif.

Ce ne sera pourtant que le début de la torture, avant l’étape-sprint des Alpes le lendemain (108 kilomètres vers l’arrivée inédite à La Rosière), les 5 000 mètres de dénivelé le jour de l’Alpe d’Huez (après le col de la Madeleine et la Croix-de-Fer) ; puis les Pyrénées dominées par une étape (Bagnères-de-Luchon - Saint-Lary-Soulan) de 65 kilomètres seulement, la plus courte de l’histoire récente du Tour, un format a priori excitant mais en passe de devenir un « gimmick » des courses de trois semaines peu conforme à sa nature de sport d’endurance.

S’il faut encore départager quelques coureurs, les 31 kilomètres très escarpés d’un contre-la-montre entre Saint-Pée-sur-Nivelle et Espelette s’en chargeront. Le maillot jaune pourra alors fêter le soir-même aux fêtes de Bayonne, à condition de ne pas rater la longue remontée, en avion, vers… Houilles (Yvelines). La conclusion revient à Mark Cavendish : « Ca me rend un peu nerveux : c’est le Tour de France le plus dur que j’ai jamais vu. »