« Ma mère a été assassinée car elle se trouvait, comme d’autres journalistes, entre le règne de la loi et ceux qui la violent. Mais elle a également été prise pour cible car elle était la seule personne à le faire. C’est ce qui arrive quand les institutions d’un Etat sont devenues incapables : la dernière personne à rester debout est souvent un journaliste. »

C’est par ces mots que le fils de la journaliste d’investigation maltaise Daphne Caruana Galizia, assassinée lundi dans l’explosion de son véhicule à Bidnija dans l’île de Malte, débute un long post sur son compte Facebook en anglais dans lequel il dénonce sans détour les responsabilités d’un « Etat mafieux » et une « culture de l’impunité » érigée en système de gouvernement.

Agée de 53 ans, Daphne Caruana Galizia travaillait comme chroniqueuse dans plusieurs médias maltais mais était surtout connue pour son blog très populaire dans lequel elle avait révélé plusieurs affaires de corruption à Malte, un fléau national. Ses révélations avaient conduit à des élections anticipées en juin. « Il y a désormais des escrocs partout où vous regardez. La situation est désespérée », écrivait-elle encore une demi-heure avant sa mort sur son blog, où elle répétait ses accusations contre Keith Schembri, chef de cabinet du ministre de l’énergie, le qualifiant d’« escroc » qui use de son influence au gouvernement pour s’enrichir.

« C’est là où nous en sommes »

Matthew Caruana Galizia « n’oubliera jamais » un assassinat « qui n’a rien d’ordinaire ». « Nous sommes des gens en guerre contre l’Etat et le crime organisé, qui sont devenus indissociables », écrit-il, traitant de « clown » le premier ministre maltais, Joseph Muscat, dont l’entourage proche a été la cible de violentes attaques de Mme Caruana Galizia, et qui a dénoncé lundi « un acte barbare » juste après le meurtre d’une journaliste qu’il « a passé près d’une décennie à diabioliser et à harceler ».

Pendant le discours du premier ministre devant le Parlement, Matthew Caruana Galizia raconte que sur le compte Facebook d’un des policiers supposé être chargé de l’enquête, on pouvait lire « chacun a eu ce qu’il méritait, de la bouse de vache ! je me sens heureux ». « C’est là où nous en sommes : un Etat mafieux dans lequel vous pouvez maintenant changer de genre sur votre carte d’identité mais dans lequel vous serez pulvérisé en morceaux si vous exercez vos libertés fondamentales. »

« Si les institutions fonctionnaient, il n’aurait pas eu à enquêter sur un assassinat, et mes frères et moi aurions toujours une mère. »

Au printemps, le magazine Politico avait classé Mme Caruana Galizia parmi les « 28 personnalités qui font bouger l’Europe », la décrivant comme « un WikiLeaks entier en une seule femme, en croisade contre le manque de transparence et la corruption à Malte ».