Le producteur Harvey Weinstein (à gauche) et le PDG de Colony Capital, Thomas Barrack, en décembre 2013, à Los Angeles (Californie). / ROBYN BECK / AFP

La Weinstein Company (TWC) peut-elle survivre au scandale qui a entraîné la chute de son fondateur, Harvey Weinstein, sous l’accusation d’agressions sexuelles ? Pour couper court aux appels des féministes, qui réclament la dissolution du studio, la TWC a fait savoir, lundi 16 octobre, qu’elle était entrée en négociations avec Colony Capital, le fonds d’investissement du magnat de l’immobilier et ami de Donald Trump, Thomas Barrack.

Dans un communiqué, l’un des membres du conseil d’administration de la TWC, Tarak Ben Ammar, a annoncé que Colony Capital allait immédiatement injecter des fonds dans le studio des frères Weinstein (le montant n’a pas été spécifié). A terme, les négociations porteront sur l’acquisition d’« une partie significative ou de la totalité » des actifs de la société. L’investisseur, Thomas Barrack, a promis de son côté de « ramener » la TWC « à sa position, méritée, d’icône du cinéma et de la télévision indépendants ».

Depuis que le scandale a éclaté, le 5 octobre, et qu’une trentaine d’actrices et de mannequins ont tour à tour affirmé avoir été victimes des avances sexuelles de M. Weinstein, la TWC (180 employés) lutte pour sa survie. Quatre membres du conseil d’administration ont démissionné, dont le milliardaire Dirk Ziff.

Amazon Studios a annoncé qu’il mettait fin – avec leur accord – au projet de série que devait tourner David Russell avec Robert De Niro et Julianne Moore. Apple a laissé tomber l’émission sur Elvis Presley prévue avec la TWC. Et la maison d’édition Hachette a rompu le contrat qui la liait à la division Weinstein Books.

L’état-major de la TWC est soupçonné d’avoir couvert les agissements du producteur-PDG. Selon le New York Times, celui-ci a négocié, au fil des années, des règlements financiers avec au moins huit de ses accusatrices, un élément qui pouvait difficilement passer inaperçu.

Dans un entretien au Hollywood Reporter, Bob Weinstein, le frère cadet de Harvey et membre du conseil d’administration, rejette ces accusations. Il affirme qu’il ignorait tout du « genre de prédateur » qu’était son aîné, même s’il était conscient de son comportement « malade et dépravé ».

Enquêtes criminelles

Les deux frères étaient en mauvais termes, ajoute-t-il, et se parlaient rarement. Installé à Hollywood, alors que Harvey était à New York, Bob avait fondé son propre label, Dimension Films, spécialisé dans les films d’horreur. Quand les premières révélations ont filtré, Harvey Weinstein avait été jusqu’à accuser son frère d’avoir fait éclater le scandale pour s’emparer de la TWC, la compagnie qu’ils avaient cofondée en 2005.

Quatre enquêtes criminelles ont été ouvertes à New York et à Londres – mais aucune pour l’instant à Los Angeles – contre le producteur, écarté de sa propre compagnie le 8 octobre. La Weinstein Company s’apprête, selon Bob Weinstein, à être rebaptisée, pour éliminer le nom de celui qui est devenu persona non grata à Hollywood. Au point que l’Académie du cinéma, qui décerne les Oscars chaque année, a décidé dimanche, à une large majorité, de l’exclure.

Après un patron démocrate, l’ancien studio indépendant devrait passer aux mains d’un investisseur proche de Donald Trump. Le patron de Colony Capital, Thomas Barrack, 70 ans, petit-fils d’émigrants chrétiens de Syrie, a connu une ascension dans l’immobilier parallèle à celle de l’actuel président. Il a représenté plusieurs princes de la famille royale saoudienne dans leurs investissements aux Etats-Unis, et aidé Donald Trump et son gendre, Jared Kushner, à restructurer leur dette quand leurs affaires immobilières étaient en difficulté à New York.

Il a été l’un des principaux financiers de la campagne de Donald Trump pour la Maison Blanche, puis des cérémonies d’investiture, dont il a présidé le comité d’organisation. C’est aussi lui qui a recommandé son vieil ami Paul Manafort, rencontré il y a quarante ans au Liban, comme directeur de campagne du candidat républicain. Le lobbyiste Manafort se trouve aujourd’hui au cœur de l’enquête du FBI sur les soupçons de collusion de la campagne de Trump avec la Russie.

Thomas Barrack n’est pas tout à fait étranger à l’univers du cinéma. En 2010, il avait participé au tour de table, incluant le fonds souverain d’investissement du Qatar, qui avait racheté Miramax et sa collection de 700 films à Disney pour 663 millions de dollars. Devenu président du nouveau studio, il avait été l’un des premiers à nouer des accords de distribution avec Netflix, profitant de l’expansion du streaming de films en ligne.

Six ans plus tard, l’ex-icône du cinéma indépendant – nommée d’après les prénoms des parents Weinstein, Miriam et Max – a été acquise par BeIn Media, une filiale du groupe Al-Jazira, pour 1 milliard de dollars.

Chronologie de l’affaire Weinstein

  • 5 octobre : Le New York Times publie une enquête selon laquelle le producteur a conclu huit règlements à l’amiable de sommes comprises entre 80 000 et 150 000 dollars avec des femmes l’accusant de harcèlement sexuel et de contact physique non désiré. Dans un premier temps, Harvey Weinstein présente des excuses pour son comportement et annonce qu’il se met en congé de ses sociétés de production Miramax et Weinstein Company. Un avocat de M. Weinstein annonce qu’il se prépare à porter plainte contre le quotidien.
  • 6 octobre : Le conseil d’administration de la Weinstein Company, la maison de production cofondée par Harvey Weinstein, annonce que celui-ci a pris un « congé indéfini » de l’entreprise. Plusieurs élus du Parti démocrate annoncent qu’ils vont reverser les contributions reçues de Harvey Weinstein à des œuvres de charité.
  • 7 octobre : Lisa Bloom, l’avocate de Harvey Weinstein, spécialiste de la défense des droits civiques, connue pour avoir défendue des femmes harcelées par l’animateur Bill O’Reilly, de Fox News, renonce à assurer sa défense.
  • 8 octobre : Harvey Weinstein est licencié par le conseil d’administration de la maison de production qu’il a cofondée, selon un communiqué de la Weinstein Company.

    Sharon Waxman, créatrice du site spécialisé dans le show-business The Wrap, assure avoir recueilli, dès 2004 et alors qu’elle était journaliste au New York Times, le témoignage d’une femme qui avait conclu avec Harvey Weinstein un accord confidentiel après avoir été agressée sexuellement. Elle affirme avoir fait l’objet de pressions et laisse entendre que la direction éditoriale du quotidien aurait cédé à Harvey Weinstein.

  • 9 octobre : Le magazine spécialisé Hollywood Reporter publie un courrier électronique que Harvey Weinstein a envoyé à plusieurs dirigeants des studios d’Hollywood, dans lequel il leur demande un soutien.

  • 10 octobre : Le New Yorker publie le résultat de son enquête au long cours sur les accusations visant Harvey Weinstein : trois femmes l’accusent désormais de viol.
    L’université de Californie du Sud annonce qu’elle refuse un don de 5 millions de dollars de Harvey Weinstein.
    Le Wall Street Journal signale que la Weinstein Company va changer de nom.