Marcel Viano (deuxième à gauche) est le responsable de la section du club de supporteurs de Monaco de Roquebrune-Cap-Martin.

Le rituel de jour de match est le même depuis plus de trente ans. Le matin, ces supporteurs de l’AS Monaco discutent football, attablés au café Les Allobroges à Roquebrune-Cap-Martin, siège de la section locale du club des supporteurs de Monaco (CSM) qui compte une soixantaine de membres.

En fin d’après-midi, ils se donnent rendez-vous à quelques voitures pour rejoindre le stade Louis-II distant d’une dizaine de kilomètres. A 19 heures, avant de prendre place en tribunes, tout le monde dîne sur le pouce à la Pizza du stade à l’intérieur de l’enceinte de 16 000 places.

Marcel Viano et ses collègues Michel Debieuvre, dit « Michou », Patrice Beill, « comme l’abeille mais sans le “e” », ou Christian Morlet, surnommé « Le Coach », incarnent le noyau historique des supporteurs du club champion de France en titre. Mardi 17 octobre, ils ne changeront rien à leurs habitudes même si le match face aux Turcs du Besiktas est crucial pour l’avenir des Monégasques en Ligue des champions.

Le prince Albert a toujours « un mot gentil »

A 65 ans, avant de passer l’affaire à ses neveux, « Marçou » a tenu pendant des années Les Allobroges, nommé ainsi par ses prédécesseurs en référence à l’ancienne caserne de chasseurs alpins installée au XIXe siècle dans la commune. Malgré la retraite de l’ancien patron, cette institution de Roquebrune est toujours l’un des endroits de prédilection des amoureux de l’ASM, symbolisée par l’écharpe rouge et blanche du club accrochée derrière le comptoir.

Aux Allobroges, « Marçou » a bu le café avec d’anciens joueurs emblématiques, comme Eric Di Meco, Marcel Dib, ou encore Basile Boli qui allait chercher ses enfants à l’école juste à côté. Il désigne par son prénom Arsène Wenger, entraîneur monégasque de 1987 à 1994, et le prince Albert a toujours « un mot gentil » pour lui lorsqu’il le croise à Monaco.

Enclavé entre la mer et la montagne, Monaco, avec sa famille princière, son Grand Prix de formule 1, son très chic tournoi de tennis, ses nombreux yachts et ses milliardaires, n’a a priori rien d’une terre de football. Parmi les 38 000 résidents, on y trouve peu de passionnés d’un sport plus populaire que clinquant. La saison passée, Monaco était le club qui attirait en moyenne le moins de spectateurs dans son stade : 9 586 dont 3 500 abonnés.

Des moqueries « horripilantes »

« Un peu plus loin de ce côté-ci, tu as la frontière italienne. Et de l’autre côté, tu es tout de suite à Nice, ville populaire où l’on aime le foot. Mais les Italiens, qui travaillent en nombre à Monaco, ne viennent pas au stade. Ils préfèrent aller à Gènes ou même à Turin », décrit Marcel Viano.

Du coup, les supporteurs se recrutent dans les modestes villes environnantes, là où la majeure partie de la population travaille d’ailleurs dans la riche voisine. « De Cap-d’Ail à Menton, il y a un potentiel de 60 000 à 70 000 spectateurs [bassin de population d’environ 100 000 habitants]. A Nice, ils sont 350 000, au moins le double avec l’agglomération, et leur stade n’est jamais plein (22 000 la saison dernière) », défend « Marçou » face à ceux qui critiquent la faible affluence.

Pour « Le Coach », 75 ans, ces moqueries sont carrément « horripilantes ». Car même s’il ne va plus au stade à cause de ses problèmes de vue, Christian Morlet défend avec passion son club. « A chaque fois que j’entends ça à la radio, j’ai envie de prendre mon téléphone, s’agace ce Briviste, supporteur de Monaco depuis son arrivée dans la région il y a… cinquante-cinq ans. En proportion de sa population, il faut savoir que Monaco est la deuxième équipe qui remplit le mieux son stade derrière Guingamp. Si Paris faisait comme nous, il faudrait un million de spectateurs au Parc des Princes. »

S’ils rejettent en bloc les critiques sur l’affluence, tous s’accordent en revanche sur l’ambiance du stade Louis-II qui compte parmi les plus calmes du championnat de France. Et ce soir, il ne faudra pas compter sur les supporteurs de Besiktas pour animer ce match de Coupe d’Europe. Le parcage visiteur sera fermé et les autorités monégasques ont tout fait pour limiter au maximum la présence des fans turcs, puisque les billets n’ont été vendus qu’aux guichets et aux personnes domiciliées à Monaco ou dans les Alpes-Maritimes.

Des supporteurs de Monaco au stade Louis-II. / BORIS HORVAT / AFP

« On crie quinze secondes et on se rassoit »

Les ultras de Monaco 1994 auront donc le champ libre pour encourager leur équipe. A 56 ans, supporteur depuis les années 1980, Michel Debieuvre reconnaît volontiers le particularisme de Louis-II. « Les ultras sont environ 400 membres actifs avec une moyenne d’âge d’une vingtaine d’années. Pour les grosses rencontres, ils peuvent être 2 000 à 3 000. Ce ne sont pas les mêmes voix que les trentenaires ou quarantenaires de certains autres groupes d’ultras, que l’on entend plus dans le stade. Et puis, il faut dire que lorsqu’ils nous demandent de chanter avec eux, on crie quinze secondes et on se rassoit », explique ce voiturier de l’hôtel de Paris, l’un des palaces les plus courus de Monaco.

Mais, cette atmosphère possède un avantage : à Louis-II, on ne se sent jamais en danger. Concierge à Monaco, le Roquebrunois Patrice Beill revendique cette convivialité. « Ici, tu peux venir avec une écharpe de Nice ou de Marseille, il n’y a pas de soucis. Tu te feras peut-être chambrer gentiment. Là-bas, la réciproque est impossible, affirme ce père de famille qui vient au stade avec son jeune fils, Nous n’avons pas de kop d’“abelinés” [que l’on pourrait traduire par tête de nœuds en patois mentonnais]. Nos supporteurs ne sont jamais interdits de déplacements. »