Manifestation du 6 septembre 2017 à Lomé, capitale du Togo. / PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Tikpi Atchadam. Voilà le nom de celui qui redonne de l’espoir au peuple togolais écrasé par cinquante années du règne d’une dynastie, les Gnassingbé père et fils. Depuis cinq décennies, le Togo est dirigé par le père, Eyadéma (1967-2005) puis le fils, Faure, depuis 2005. Les élections organisées dans ce pays relèvent plus de la farce électorale que d’une consultation du peuple, la dernière élection présidentielle en 2015 officiellement remportée par le président sortant, Faure Gnassingbé illustre à elle seule la mascarade : les résultats sont proclamés alors que le dépouillement est effectué à 40 %.

Qu’à cela ne tienne, la communauté internationale, France en tête, félicite le vainqueur. Circulez, y a rien à voir. Mais, depuis le mois d’août, le Parti national Panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam a réveillé l’opposition lors de manifestations violemment réprimées provoquant la mort de plusieurs personnes (le bilan demeure contesté, il y a eu au moins deux morts). Depuis lors, l’opposition réunifiée manifeste dans tout le pays pour demander le retour à la Constitution de 1992, qui limite notamment le nombre de mandats présidentiels à deux, et le départ du président Faure Gnassingbé.

Déclic psychologique

Ces manifestations ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes, une première dans l’histoire du Togo. Rien ne sera plus comme avant. Les Togolais n’ont désormais plus peur de descendre dans la rue pour demander le départ de celui qui les dirige depuis plus de douze ans déjà. Longtemps, la répression meurtrière de 2005 (le bilan établi par la Fédération internationale des droits de l’homme est de 811 morts) a été un frein à une contestation populaire d’envergure. Ce n’est plus le cas. Les Togolais n’ont plus peur car le ras le bol est à son comble. Cinquante ans d’un régime meurtrier et prédateur, cela fait long, très long.

Il s’est produit un déclic psychologique comparable à celui que les Burkinabés ont connu avec les mutineries de 2011. Le pouvoir de Blaise Compaoré montrait soudainement toute sa fragilité et le chasser devenait enfin envisageable. Depuis les manifestations d’août, les Togolais eux aussi envisagent le départ de Faure Gnassingbé.

A Lomé, le 5 octobre 2017, manifestation pour le départ de Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis plus de douze ans. / MATTEO FRASCHINI KOFFI / AFP

Emmuré dans sa tour d’ivoire, le président, conseillé par des courtisans qui ne veulent pas perdre leur position de prédateurs, n’entend rien. Le peuple exige son départ et quelle est sa réponse ? « Je vous ai entendu, je vous propose une réforme constitutionnelle qui vous garantira deux mandats supplémentaires de la dynastie Gnassingbé. »

Car c’est bien de cela dont il s’agit. Il propose la limitation à deux mandats présidentiels… mais seulement à partir de la prochaine élection ! Les députés de l’opposition ont rejeté, le 19 septembre, cette proposition au Parlement qui n’est rien d’autre qu’une provocation, voire une insulte. Cet échec doit donc théoriquement donné lieu à une consultation.

Le pire, c’est que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) soutient cette idée de référendum. Quant au Quai d’Orsay, son porte-parole déclarait une semaine plus tôt : « La France appelle à un esprit de responsabilité et de consensus pour mettre en œuvre la révision constitutionnelle dont le principe est agréé tant par le gouvernement que par l’opposition, en cohérence avec l’accord politique global de 2006. »

« Réconcilier les Togolais… »

Est-ce la réponse qu’attend un peuple exaspéré par cinquante ans de dictature ? De quel côté se situent la Cédéao et la France ? Pas du côté du peuple, assurément. Déjà, en octobre 2016, Manuel Valls, premier ministre, ne tarissait pas d’éloges pour le régime togolais lors de son déplacement à Lomé : « Monsieur le Président, vous faites avancer ce pays avec patience, avec détermination (…) Vous avez eu à cœur, et c’est comme ça que l’on reconnaît les grands dirigeants, de favoriser la réconciliation des Togolais entre eux et avec leur peuple [sic] ».

Tout comme le député socialiste François Loncle, qui a signé dans les colonnes de Jeune Afrique, en décembre 2016, ce morceau de propagande pure et simple : « Le président Faure est conscient des problèmes auxquels son pays est confronté. Il a compris les aspirations du peuple togolais. Il mène une dynamique politique de développement qui vise à relever les grands défis (…) auxquels le Togo doit faire face. Sous sa direction le Togo évolue dans le bon sens. » La question que je pose à notre ancien premier ministre et à cet ancien député : pourquoi se livrer à de tels exercices de griots ? Je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure des manières pour promouvoir l’influence française.

Le 6 septembre 2017, des dizaines de milliers de manifestants se sont réunis dans tout le Togo, ici à Lomé, pour demander le départ du président Gnassingbé, au pouvoir depuis douze ans. / PIUS UTOMI EKPEI/AFP

Et le président Macron, qu’en pense-t-il ? Bonne question. Je n’ai rien lu de lui sur le sujet alors je me réfère à son discours à la tribune des Nations unies de septembre, lors de l’Assemblée générale. Il y déclarait (ou déclamait plutôt) ceci : « Si mon pays aujourd’hui possède, dans l’ordre des Nations, cette place un peu singulière, cela lui confère une dette, une dette à l’égard de tous ceux qu’on a privés de leur voix. Et je sais que le devoir de la France est de parler pour ceux qu’on n’entend pas. Car parler pour eux, c’est aussi parler pour nous, aujourd’hui ou demain. Et en ce jour, ce sont ces voix oubliées que je veux porter. » Monsieur le Président, le peuple togolais sera encore dans la rue cette semaine. Il vous offre une formidable occasion de passer des paroles aux actes. Portez donc sa voix oubliée !