Bruno Le Maire à l’Assemblée nationale, le 3 octobre 2017. / BENOIT TESSIER / REUTERS

En plein débat sur le projet de loi de finances (PLF) 2018 à l’Assemblée nationale, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, était l’invité, mercredi 18 octobre, du « Club de l’économie » du Monde. L’occasion pour lui de revenir sur les accusations de « budget pour les riches » proférées par les oppositions, et sur la polémique qui entoure la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), remplacé par un impôt sur la fortune immobilière (IFI).

« Nous défendons l’allégement massif de la fiscalité du capital, (…) je le revendique haut et fort. (…) C’est la seule politique qui n’a pas été essayée en France », a souligné l’ancien candidat à la primaire de la droite, persuadé que taxer les revenus du capital davantage que ceux du travail n’est pas la bonne solution pour l’économie et donc la création d’emplois. « 80 % des pays européens ont une flat tax, la baisse de l’impôt sur les sociétés a été engagée dans quasiment tous les pays développés », a-t-il plaidé.

Interrogé sur les propos de François Hollande, sorti de sa réserve mardi depuis Séoul pour mettre en garde Emmanuel Macron contre « une fiscalité allégée pour les riches », M. Le Maire a taclé : « Je réponds à François Hollande que, si sa politique avait été la bonne, il aurait été réélu », estimant que « les choix de matraquage fiscal qu’il avait faits n’étaient pas les bons ».

Mission d’évaluation

Tout comme le président de la République, le locataire de Bercy reste droit dans ses bottes quant à la philosophie de ses réformes. « Nous préférons mettre à disposition de l’économie française 3 milliards d’euros sans les flécher » car « flécher, ça ne marche pas », a assené M. Le Maire, étrillant le dispositif ISF-PME (qui permet de défiscaliser des investissements dans les PME). « Ce dispositif est une niche fiscale qui ne doit pas être reconduite », a-t-il estimé.

Questionné sur le délai nécessaire pour que les Français voient les fruits de la politique gouvernementale de « transformation de l’économie », le ministre a estimé que « deux ans, c’est un bon délai pour commencer à enregistrer de premiers résultats ».

M. Le Maire a d’ailleurs confirmé la création d’une mission d’évaluation de la politique fiscale de l’exécutif. Elle sera constituée de quatre parlementaires, dont deux de l’opposition, de deux membres de la Cour des Comptes, d’une personne du Trésor et une de l’Insee et de trois personnalités qualifiées, avait-il indiqué mardi à l’Assemblée. Le premier rapport de cette instance devra être transmis au Parlement avant avril 2020.

Interrogé sur la pétition lancée par Libération et signée par une centaine de parlementaires de gauche afin que le gouvernement publie l’impact de ses mesures sur les 100 Français les plus riches, M. Le Maire a fait savoir qu’il n’était « pas question de remettre en cause le secret fiscal ». Il a toutefois donné des chiffres sur les 1 000 plus gros contributeurs à cet impôt : « Nous allons rendre 400 millions d’euros aux 1 000 premiers contributeurs à l’ISF », a-t-il annoncé.

En effet, selon Bercy, les 1 000 plus gros contribuables imposés à l’ISF (sur un total de 330 000 personnes) paient 400 millions d’euros d’ISF. « Nous allons leur rendre 10 % du montant total [des recettes] de l’ISF [qui a rapporté 4,1 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat] », a détaillé le ministre, précisant que « ce n’est pas un solde net, il faut en déduire IFI qui sera maintenu ».

Rouvrir deux débats

A propos de la réforme de l’intéressement et de la participation annoncée par Emmanuel Macron dimanche 15 octobre lors de son interview sur TF1, Bruno Le Maire a indiqué vouloir « simplifier et donner accès [à ces dispositifs] aux entreprises de moins de 50 salariés », dans le cadre de sa loi « entreprises » prévue pour le printemps 2018, et dont les travaux préparatoires (consultations de parlementaires, chefs d’entreprise…) doivent débuter « lundi prochain ». « On doit donner à l’entreprise les moyens de se développer le plus possible », afin de transformer les PME en ETI (entreprises de taille intermédiaire), estime-t-il. En revanche, le ministre a semblé fermer la porte à l’ouverture du conseil d’administration des entreprises aux salariés, estimant que la cogestion, en Allemagne, « ne [concerne] pas les organes décisionnaires ».

M. Le Maire a également réitéré sa volonté de rouvrir deux débats : le déplafonnement du crédit d’impôt recherche, et le « déplafonnement des allégements de charges ». Objectif : « Améliorer la compétitivité de notre industrie », secteur dans lequel les salaires sont couramment supérieurs à cette limite. L’idée serait de baisser le coût du travail au-delà des allégements actuels jusqu’à 2,5 smic, permis par le CICE, pour aller jusqu’à 3 smic. « Aujourd’hui, les allégements de charge sont concentrés sur les bas salaires et c’est légitime, car c’est là qu’est concentré le chômage. Mais il y a un vrai paradoxe à dire à notre industrie qu’elle doit être de haute technologie (…) et ne faire aucun allégement au-dessus de 2,5 smic », a souligné M. Le Maire. Mais une telle mesure, qui coûterait quelque 5 milliards d’euros, ne pourra être mise en œuvre dans l’immédiat compte tenu des contraintes du budget 2018.

Sur les privatisations, M. Le Maire a rappelé qu’il n’était « pas question d’ouvrir les entreprises du service public (…) mais le secteur concurrentiel, oui ». « Je crois à l’Etat, c’est ce qui garantit la stabilité et le respect de l’intérêt général. Mais il faut redéfinir sa place », a-t-il noté. Il a confirmé la création « début 2018 » d’un « fonds pour l’innovation de rupture » qui « financera de grands projets » et s’est dit prêt à l’étendre à l’Europe, en mobilisant des « centaines de millions d’euros ».

Sur l’Europe, M. Le Maire a précisé que « la transformation économique de la France ne va pas sans transformation de la zone monétaire [euro] en zone économique ». « Aujourd’hui, l’affrontement européen [se joue] entre ceux qui veulent affirmer l’Europe, et ceux qui veulent la disloquer », a affirmé le ministre, plaidant pour « un budget pour les Etats ayant la même monnaie », indispensable selon lui à une « vraie intégration » économique en zone euro.