L’hebdomadaire français d’extrême droite Minute a mis une photo de la députée insoumise Danièle Obono à sa « une » avec le titre choquant « Mais qu’on la fasse taire, bordel ! ». Il s’agit du dernier acte d’une campagne lâche et nauséabonde de dénigrement et d’injures menée depuis plusieurs mois à l’encontre de la députée de 37 ans.

Danièle Obono est née au Gabon et y a vécu jusqu’à la préadolescence avant de rejoindre la France, pays dont elle a acquis la nationalité en 2011. Lors des dernières législatives, elle est devenue députée du mouvement La France insoumise. Depuis cette élection qui l’a propulsée sur le devant de la scène politique nationale, elle fait face à des agressions racistes quotidiennes.

D’abord, c’est dans le studio de l’émission « Les Grandes Gueules » sur les ondes de RMC qu’elle a été sommée de prouver son attachement à son pays d’adoption en clamant un « Vive la France ! ». Ses procureurs s’offusquaient qu’elle ait signé, en 2012, aux côtés de nombreuses personnalités françaises (dont Eva Joly, Noël Mamère, Clémentine Autain) que personne n’a songé pourtant à inquiéter, une pétition pour défendre la liberté d’expression parue dans Les Inrockuptibles au sujet d’une chanson de rap intitulée « Nique la France ». Des mois plus tard, c’est son foulard noué en coiffe « à l’africaine » qui a été jugé scandaleux et déshonorant pour le Parlement français. J’élude les accusations sordides lancées par Manuel Valls de liens avec l’islamisme politique et d’accointances avec les courants antisémites et sur le fatras de sottises visant à la discréditer.

Il ne reste qu’à ajouter qu’elle garde des bébés blancs dans son réfrigérateur qu’elle consomme avec du couscous chaque vendredi.

Périmètre identitaire étriqué

« L’Insoumise » est victime d’attaques violentes de journalistes et de citoyens, car elle est une jeune femme noire qui, de surcroît, a décidé de ne pas se taire. Son identité composite est un problème pour de nombreuses personnes qui vivent encore dans le mythe de la France blanche et chrétienne. Leur France au périmètre identitaire étriqué peut faire des concessions aux femmes dans le milieu politique – et encore – si celles-ci ont la bonne couleur de peau. Les pourfendeurs d’Obono ne tolèrent pas qu’on confère une écharpe tricolore ou un maroquin à des « bougnoules », « bamboulas » et autres « nègres ».

Peut-on critiquer Danièle Obono ? Oui. Peut-on s’opposer vigoureusement à ses prises de position ? Oui, quand notamment ici, sur son blog, elle a du mal à exprimer de la compassion vis-à-vis des victimes de Charlie Hebdo. Et aussi lorsqu’elle évoque et dénonce la censure dont serait victime Dieudonné. S’y ajoute, le 1er octobre, sa prise de position sur les conducteurs de bus refusant de prendre la relève d’une collègue femme. Là encore, avant même de répondre aux arguments de Mme Obono qui y voit davantage un problème de discrimination et de sexisme qu’une radicalisation relevant de la loi d’exception sur la lutte contre le terrorisme, Jeannette Bougrab l’affuble, sur le plateau de l’émission « La République » de LCI, du qualificatif d’« idiote utile ». Certes la députée de Paris commet des maladresses et prend des positions discutables sur des sujets clivants. Mais elle mérite qu’on lui oppose des arguments rigoureux, car elle a choisi le combat syndical, associatif et politique de terrain, fait de bagarres, de coups à recevoir et à donner. Et aussi celui des idées.

Mais nul ne doit accepter le déferlement de haine raciste dont elle est victime. On lui reproche, de façon parfois hystérique, d’être une femme noire qui refuse de se taire, de ne pas se vautrer dans la case de ses origines ou de ne pas exprimer au quotidien sa gratitude vis-à-vis du pays qui l’a accueillie et, l’intégrant symboliquement dans sa communauté nationale, lui a donnée sa nationalité. Elle n’est pas dans la célébration vaseuse et candide de cette France universelle qui accueillerait tous les fils de la Terre et leur permettrait de réaliser leurs rêves. Son irrévérence, si précieuse, lui vaut cette campagne infecte.

Couleur de peau et origine

Mais cette cabale odieuse contre Danièle Obono n’est pas inédite. Les femmes politiques noires et arabes en France sont souvent l’objet d’une réelle stigmatisation. Rachida Dati, Christiane Taubira ou encore Najat Vallaud-Belkacem, femmes diplômées et brillantes mais souvent appréhendées selon leur couleur de peau et leur origine, donc haïes pour ce qu’elles sont ; elles ont subi de violentes attaques dont les relents racistes étaient évidents.

Plus récemment, Sibeth Ndiaye est devenue la nouvelle victime de ce que l’essayiste américain Ta-Nehisi Coates appelle « la violence symbolique qu’on inflige au corps noir ». L’éditorialiste de L’Express, Christophe Barbier, allant même jusqu’à assumer qu’une jeune femme noire, malgré et ses diplômes et son statut de fonctionnaire au cabinet du président de la République français, reste une gamine de cité au langage ordurier.

Les détracteurs de Mme Obono ne la pensent digne que de faire la queue devant la CAF ou les Restos du cœur, inspirant le dégoût par ci et la pitié par-là, mais nullement de représenter le peuple français. Or cette France raciste, misogyne et conservatrice devra subir l’image pendant cinq ans d’une femme noire arborant son écharpe tricolore et siégeant au palais Bourbon.

Il y aura d’autres Danièle Obono au Parlement français, dans les ministères et même un jour à l’Elysée, car la marche de l’Histoire est ainsi faite. La France blanche, chrétienne, au risque de terroriser certains petits esprits, est finie. Terminée. L’avenir du monde est le métissage avait prédit un illustre français, qui a siégé dans le même Hémicycle que Danièle Obono aujourd’hui : il s’appelait Léopold Sédar Senghor.