L’avis du « Monde » - Pourquoi pas

Les places, quand on n’y pend pas haut et court, sont favorables aux mouvements de protestation sociale. Récemment, quelques-unes ont fait parler d’elles de par le monde. Tahrir au Caire, Puerta del Sol à Madrid, République à ­Paris. Sur cette dernière, où s’est développé le mouvement Nuit debout à compter du 31 mars 2016, la ­documentariste Mariana Otero – auteure de films remarquables comme Histoire d’un secret (2003) ou A ciel ouvert (2014) – a rapi­dement commencé à filmer. Tout débute par un mou­vement massif de protestation contre le projet de loi sur la réforme du travail soutenu par la ministre socialiste Myriam El Khomri, depuis lors convertie au mouvement d’Emmanuel Macron.

Sous l’influence notamment du journaliste François Ruffin, le mouvement se perpétue à l’issue du 31 mars et s’élargit à d’autres fronts sociaux au sein du collectif Convergence des luttes. L’occupation de la place de la République est décidée, puis pilotée par un petit groupe de responsables qui va assez vite céder la place à un mouvement plus vaste, sans hiérarchie ni représentants, organisé en commissions de réflexion et faisant sanctionner les décisions par un vote démocratique. Une utopie, en un mot, se met en marche, qui a pour premier objectif de tenir la place, et que Mariana Otero, à son tour, prend en marche, jusqu’à l’épuisement progressif, durant les mois de mai et juin, d’une dynamique que les redoutables congés estivaux (qui n’en sont pas à leur coup d’essai) achèvent sans pitié. A défaut de l’utopie espérée, En marche ! deviendra finalement l’étiquette d’un parti qui durcira la loi travail.

On tourne un peu en rond

Quelque chose, du moins, reste vivace dans les esprits de ceux qui ont participé à ce mouvement, et sans doute dans des cercles plus larges, dont ce film porte la trace. Cette chose, c’est la circulation d’une libre parole et l’incessante réflexion sur la meilleure manière de la préserver et de la représenter. Soit un retour aux sources de l’interrogation démocratique, mené avec la foi du charbonnier, l’élan conféré par l’espoir que quelque chose, en ce bas monde, peut encore être changé. Un mélange de grande modestie et de grand orgueil, un don quotidien de soi, une lutte opiniâtre contre les forces rassemblées à la chute du mouvement : la police et ses violences, la routine, la phraséologie. Bref, un foutoir à la recherche d’une impossible invention, soutenu par la conscience active de la beauté du geste.

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Le film n’en rencontre pas moins ses limites. Parole erratique, absence de personnages, parti pris, surtout – courageux mais cinématographiquement risqué – de se focaliser exclusivement sur le travail des commissions et, à travers lui, sur l’empirisme du mouvement. On tourne un peu en rond. On a la faiblesse de s’interroger sur le contexte (d’où vient le mouvement ? Quels sont ces gens qui l’animent ? Comment est-il per­çu ? Quelle stratégie adopte le ­gouvernement ?). On aurait tout de même voulu qu’une pensée s’articule, qu’une vision s’élève. Or, à l’instar de la parole qui y circule et des enthousiastes qui la font vivre, le film, tristement, s’étiole. C’est ainsi par le louable souci de la fidélité absolue au mouvement que Mariana Otero ­finit par manquer à son film.

Bande-Annonce L'ASSEMBLEE
Durée : 01:35

Film documentaire de Mariana Otero (1 h 39). Sur le web : www.epicentrefilms.com, www.facebook.com/lassembleelefilm