L’entrée de la Cour des comptes, en septembre 2016. / BERTRAND GUAY / AFP

« L’Etat ne peut plus aujourd’hui s’exonérer de la redéfinition légale et administrative du dispositif d’affectation dans l’enseignement supérieur » : c’est ce qu’estime la Cour des comptes dans un rapport rendu public jeudi 19 octobre. Celui-ci, intitulé « Admission post-bac et accès à l’enseignement supérieur. Un dispositif contesté à réformer », sort opportunément le jour même où les principaux acteurs de l’enseignement supérieur remettent à la ministre Frédérique Vidal leurs propositions pour réformer l’accès à l’université. Cela s’inscrit dans le processus de concertation lancé pendant l’été par le ministère pour mettre fin à l’utilisation du tirage au sort à l’entrée des filières universitaires en tension ayant marqué la session 2017 d’APB.

« Une innovation utile »

Ce rapport mesuré, sur lequel la Cour des comptes travaillait depuis de longs mois, constitue une synthèse des différents débats et difficultés ayant émaillé la procédure Admission post-bac depuis trois ans. La juridiction, dans une démarche d’apaisement à la suite des débats bouillonnants de l’été, s’y attache d’abord à rappeler « l’innovation » et le « progrès » qu’a représentés la mise en place d’Admission post-bac en 2009 en instaurant un calendrier unique et des modalités de candidature harmonisées dans l’enseignement supérieur.

Mais, comme l’économiste Julien Grenet le précisait au Monde dans une récente interview, la Cour des comptes rappelle aussi les bénéfices de l’algorithme utilisé pour mettre en adéquation les vœux et les formations. Celui-ci « optimise » l’affectation des candidats et permet « à davantage de candidats de disposer plus tôt d’une proposition conforme à leurs vœux ».

Lire l’entretien avec l’économiste Julien Grenet  : Pourquoi l’algorithme APB mérite d’être sauvé

Elle ajoute à sa démonstration une simulation montrant ce qu’aurait pu être la session 2016 d’APB « sans l’utilisation de l’algorithme d’affectation ». Selon la Cour des comptes, quelque 300 000 candidats n’auraient reçu aucune proposition au premier tour d’APB, le 8 juin 2016, « contre la moitié avec l’algorithme » (148 000).

Cour des comptes à partir des données du service APB, chiffres arrondis au millier

Des « résultats insatisfaisants » et un « système en crise »

Malgré « cette simplification, la procédure APB reste, pour les candidats et leur famille, synonyme de difficultés », note la Cour des comptes. Ainsi, faute de transparence, de « décisions publiques explicites », et d’accompagnement suffisant des candidats et de leur famille sur le fonctionnement du dispositif, « beaucoup de candidats attribuent au dispositif et à son algorithme d’affectation des décisions qui relèvent en réalité des établissements recrutant sur la plate-forme ». Ce manque d’accompagnement a régulièrement été dénoncé, notamment en juin par le médiateur de l’éducation nationale.

Mais la Cour des comptes insiste surtout sur « la principale difficulté » d’APB, aujourd’hui connue : la gestion des admissions dans les licences universitaires en tension (Staps, droit, psychologie, etc.). Ces dernières, en théorie non sélectives, font reposer sur la plate-forme le soin de départager les candidats en surnombre selon les seuls critères prévus par la loi (origine géographique du candidat, ordre de ses vœux) et, en dernier recours, selon le très contesté tirage au sort. En 2017, plus de 10 000 candidats n’ont ainsi pas pu avoir accès à la formation qu’ils demandaient en premier vœu, faute d’avoir été choisis par le hasard.

En plus d’être mal connus des candidats, ces critères « ne correspondent pas exactement aux dispositions du code de l’éducation », rappelle la Cour des comptes. De nombreuses décisions de tribunaux administratifs, saisis entre autres par l’association Droits des lycéens, ont déjà montré cet écueil.

A la fin de septembre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) avait elle aussi donné un carton rouge au ministère, lui demandant, entre autres, de « cesser de prendre des décisions concernant des personnes sur le seul fondement d’un algorithme ».

« Une réforme à mener sans délai »

Les défauts d’APB, « qui ne sont pas techniques mais relèvent de dispositions juridiques et de décisions politiques », nécessitent selon la juridiction « une réforme à mener sans délai ». Les dispositions du code de l’éducation doivent être « complétées et clarifiées afin de fixer des critères suffisants pour classer les candidatures aux licences universitaires » et éviter le recours au tirage au sort. C’est l’objectif que s’est fixé la ministre avec son idée de nouveaux « prérequis » d’accès à l’enseignement supérieur, dont le caractère contraignant ou non fait l’objet d’intenses débats au sein de la communauté universitaire.

La Cour des comptes recommande par ailleurs de revoir le pilotage d’Admission post-bac. Actuellement opérée par l’Institut national polytechnique de Toulouse, cette « gestion doit relever directement de l’Etat ». Le 28 septembre, Frédérique Vidal a en partie apporté un élément de réponse sur ce point en annonçant la mise en place « d’un service à compétence nationale » rattaché directement au ministère et chargé de piloter le futur dispositif.

Enfin, la Cour des comptes insiste sur la nécessité d’améliorer la transparence du système d’affectation et l’accompagnement des acteurs.

La ministre de l’enseignement supérieur doit annoncer les nouvelles modalités d’accès à l’université en novembre.

Récapitulatif des recommandations de la Cour des comptes :

  • Préciser et compléter les dispositions législatives et réglementaires régissant l’accès à la licence ; donner une base légale aux licences sélectives existantes.
  • Assurer la publicité des critères et des procédures de sélection de chaque formation présente dans le système d’affectation dans l’enseignement supérieur.
  • Développer et diversifier des actions de communication et de formation de tous les utilisateurs en vue de mieux accompagner le déroulement de la procédure.
  • Conférer au système d’affectation dans l’enseignement supérieur un fondement juridique et formaliser en conséquence l’ensemble des règles et paramètres de fonctionnement de l’outil.
  • Etendre la participation de l’ensemble des formations publiques ou reconnues par l’Etat au système d’affectation dans l’enseignement supérieur, sous réserve de la mise en œuvre préalable des mesures remédiant aux insuffisances actuelles de l’outil.
  • Confier la gestion du système à une structure unique relevant directement de l’Etat.
  • Protéger la marque du système d’affectation.
  • Organiser l’accès libre et sécurisé aux codes sources et aux données du système, en favorisant le développement de nouveaux services en faveur de l’orientation des élèves.