L’affaire Weinstein, qui a déclenché une avalanche de témoignages et de dénonciations de femmes victimes de harcèlement et d’agression sexuels, a mis un coup d’accélérateur à l’agenda législatif du gouvernement Macron. Alors que des dizaines de milliers de Françaises témoignent sur les réseaux sociaux des violences sexuelles qu’elles ont subies, sous le mot-clé #balancetonporc, ou #moiaussi, Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, a avancé d’un mois la présentation d’un rapport écrit par le docteur Muriel Salmona, psychiatre, spécialisée en psychotraumatologie.

Intitulé « Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels », ce dossier contient un ensemble de propositions que l’entourage de Mme Schiappa assure accueillir « avec grand intérêt » et qui auront vocation à être « adaptées en politiques publiques ».

La secrétaire d’Etat a déjà annoncé, dans le journal La Croix, qu’elle préparait « un projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles afin d’abaisser le seuil de tolérance de la société ». Le texte, porté conjointement avec la garde des sceaux, Nicole Belloubet, est prévu pour le premier semestre 2018. « Un peu pressée par l’actualité », la psychiatre, qui a été entendue jeudi à l’Assemblée nationale, se félicite que « les choses bougent enfin. »

  • Eduquer dès l’enfance

Parmi les huit mesures concrètes que préconise Muriel Salmona, beaucoup d’efforts sont concentrés sur la sensibilisation. Pour « lutter contre le déni, la culture et la loi du silence en informant sans relâche », la spécialiste propose notamment d’éduquer les enfants dès le plus jeune âge à la non-violence, à la question du consentement et à l’écoute des victimes.

  • Former les professionnels

Le manifeste se fonde également sur les chiffres d’une enquête de 2015 menée par l’association Mémoire traumatique et victimologie qui atteste que 82 % des étudiants en médecine n’ont pas eu de formation sur les violences sexuelles et que les victimes mettent en moyenne treize ans avant de trouver un professionnel formé. Le texte prône donc une « formation obligatoire pour tous les professionnels de santé » sur la psychotraumatologie, pour comprendre ce qui se passe biologiquement dans le cerveau d’une victime, notamment ses mécanismes de survie.

Cette formation permettrait également de préparer les professionnels de santé au « dépistage précoce » des violences subies par les personnes qui ne parviendraient pas à verbaliser leur agression. Elle devrait aussi concerner les policiers, gendarmes et unités médico-judiciaires qui recueillent les plaintes.

  • Lutter contre « l’abandon par le système »

Autre priorité : la lutte contre « la solitude extrême » dans laquelle se trouvent « ces victimes abandonnées par le système ». 82 % des victimes ayant porté plainte estiment en effet ne pas avoir été protégées. Muriel Salmona propose des centres de crise accessibles vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une ligne téléphonique spéciale pour les viols et les agressions, ou encore une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale (médecins et psychologues).

  • Améliorer les lois

La justice elle-même doit-elle également s’adapter ? Le Dr Salmona a longtemps défendu « l’imprescriptibilité » des crimes sexuels. Réservée aux crimes contre l’humanité, elle est pour l’instant écartée par Mme Schiappa : « Elle ne passerait sans doute pas le filtre du Conseil constitutionnel », estime la secrétaire d’Etat. Les magistrats considèrent que la prescription actuelle est adaptée : pour condamner des auteurs, des preuves sont nécessaires. Or, ces dernières se raréfient avec le passage du temps. Ils estiment que permettre de porter plainte quarante ou cinquante ans après les faits pourrait donner de faux espoirs aux victimes.

Mais la spécialiste en victimologie propose aussi de réformer d’autres textes : en introduisant par exemple dans les lois une définition claire du consentement, ou encore un âge limite en dessous duquel une personne ne peut pas consentir à un acte sexuel. La psychiatre table sur quinze ans, mais là encore, les associations et les acteurs juridiques sont divisés.