Le conflit en Centrafrique est « une crise dramatique mais une crise oubliée », a affirmé dans un entretien à l’AFP et à RFI, mercredi 18 octobre, le patron de l’ONU, Antonio Guterres, qui sera en visite dans ce pays du 24 au 27 octobre. « La Centrafrique est très loin des attentions de la communauté internationale. Le niveau de souffrances du peuple, mais aussi les drames subis par les humanitaires et les forces de maintien de la paix, méritent une solidarité et une attention accrues », estime le secrétaire général de l’ONU.

Le début de sa visite, mardi 24 octobre, coïncidera avec la Journée des Nations unies, proclamée en 1947 et qui marque l’entrée en vigueur de la Charte des Nations unies. « C’est un peu un geste de solidarité, pour être ce jour-là avec les forces de maintien de la paix dans un des environnements les plus dangereux ».

Cette déclaration intervient alors que, selon l’ONU, des violences « d’une grande ampleur » ont éclaté, mercredi, dans le sud-est de la Centrafrique et « auraient coûté la vie à de nombreux civils » entre Alindao et Bangassou (sud), dans une région en proie à des tensions depuis mai. Aucun bilan indépendant du nombre de victimes n’avait encore pu être établi mercredi en milieu d’après-midi.

« Opérations de nettoyage ethnique »

La Centrafrique connaît depuis plusieurs mois une recrudescence d’affrontements entre groupes armés qui se disputent des ressources naturelles et des zones d’influence en prétendant assurer la défense de populations et communautés locales. Les violences impliquent des milices anti-balaka, à majorité chrétienne, et des groupes issus de l’ex-Séléka, à dominante musulmane.

« Depuis le début de l’année, nous avons eu douze travailleurs humanitaires et douze soldats de la paix tués en Centrafrique. Ça démontre à quel point la situation s’est dégradée », note le chef de l’ONU, qui, outre la capitale, Bangui, compte aller à Bangassou. Interrogé sur de récents propos contradictoires à l’ONU sur l’existence ou non de « signes avant-coureurs de génocide » en Centrafrique, Antonio Guterres indique que « des opérations de nettoyage ethnique » se poursuivent « dans plusieurs endroits du pays ».

Dans les seules régions de Bria (est) et de Bakala (centre), au moins 133 civils ont été tués par des groupes armés entre novembre 2016 et février 2017, a établi la Minusca dans un rapport publié mardi. La Minusca s’est dite « en mesure d’attribuer 111 de ces meurtres à l’UPC [Unité pour la paix en Centrafrique] et 22 à la coalition FPRC [Front Populaire pour la Renaissance de la Centrafrique] », deux factions rivales « ciblant des civils » et « agissant en toute impunité ». La Minusca dit par ailleurs avoir des « allégations crédibles » concernant la mort de « 293 autres civils », tués par ces mêmes groupes armés durant la même période (167 par l’UPC et 126 par le FPRC).

« Je fais appel aux leaders religieux et communautaires pour faire comprendre aux gens que la Centrafrique, où chrétiens et musulmans ont toujours vécu ensemble, doit rétablir les conditions d’un respect mutuel, de compréhension et de dialogue pour que ces communautés puissent une fois de plus trouver un avenir commun », a déclaré Antonio Guterres. « Les religieux ont un rôle absolument irremplaçable pour rapprocher des communautés qui ont toujours vécu ensemble mais qui maintenant sont très divisées. »

« Des appuis venus de l’extérieur »

Face au « problème sérieux de réconciliation », il est selon lui nécessaire « que la communauté internationale s’engage en appuyant l’Union africaine » et en soutenant les « efforts du président [Faustin-Archange] Touadéra ». « Il faut tout faire pour que les groupes armés puissent rendre leurs armes et que tout le monde puisse s’engager sérieusement dans la réconciliation et la paix », insiste-t-il, regrettant le « manque de fonds » apportés par la communauté internationale pour aider le pays. « Nous n’avons qu’à peu près 30 % des fonds qui seraient nécessaires pour répondre avec le minimum d’efficacité aux besoins tragiques du peuple centrafricain. »

Selon lui, la recrudescence des violences n’est pas à mettre sur le compte du chef de l’Etat. « Je ne crois pas que ce soit le président Touadéra qui ait permis le renforcement des groupes armés. A un moment donné, il fallait une politique plus ouverte, un engagement élargi dans les contacts politiques et dans la création d’une mouvance capable de réunir des représentants des différentes forces politiques avec une vision commune », estime-t-il toutefois.

En 2017, la « dégradation de la situation sécuritaire » vient plutôt des « groupes armés qui ont eu, c’est évident aujourd’hui, des appuis venus de l’extérieur », précise Antonio Guterres, sans les identifier. « Il y a eu des discours où la haine est apparue dans les déclarations de beaucoup de leaders communautaires dans différentes régions du pays ». « On ne peut pas dire que nous sommes face à une désillusion mais il faut reconnaître qu’il y a un travail énormément important à faire et notamment qu’il faut améliorer la situation sécuritaire. »

Dans cet objectif, le secrétaire général a réclamé au Conseil de sécurité d’ajouter 900 militaires aux quelque 10 000 casques bleus de la Minusca, à l’occasion du renouvellement de son mandat en novembre.

Sur les abus sexuels qui discréditent la Minusca, il indique vouloir rencontrer des victimes et leurs familles. Jane Connors, nommée avocate des droits des victimes de l’ONU, sera du déplacement, a-t-il précisé, en rappelant que des unités de casques bleus ont été renvoyées pour des abus sexuels commis en Centrafrique.