Débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, le 3 mai. / ERIC FEFERBERG / AFP

Dans ses discours, Marine Le Pen aime bien souvent répéter à ses militants la même citation de Bernanos : « L’espérance est un risque à courir. » Il ne fait pas de doute que la phrase s’est incrustée dans un coin de la tête du dernier carré de fidèles de la présidente du Front national, qui est attendue, jeudi 19 octobre, sur le plateau de « L’Emission politique » de France 2. Continuer à courir le risque « Marine » ? Ce prime time, qui représente le premier grand rendez-vous télévisé de la députée du Pas-de-Calais depuis le désastreux débat d’entre-deux-tours de l’élection présidentielle face à Emmanuel Macron, le 3 mai, doit convaincre certains frontistes que cela vaut encore le coup. Un rendez-vous pour essayer de rebondir, voire tout simplement d’exister, dans un débat public dominé par Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, et faire sortir de la crise un parti lepéniste ankylosé.

La députée européenne Sophie Montel a beau être partie du côté des Patriotes de Florian Philippot, avec une bonne dose de rancœur dans ses bagages, elle connaît encore bien les militants et électeurs du Front national pour les avoir écoutés pendant près de trente ans. Et, selon elle, la base frontiste, qui se vit bien souvent comme une citadelle assiégée par le « système », a eu honte de la prestation de sa championne contre le futur président de la République : une honte d’autant plus forte que Marine Le Pen a été portée par ces mêmes personnes au pinacle pendant près de six ans. « Le jour du 3 mai, les gens qui soutenaient le FN en ont pris plein la tronche. L’électorat FN, c’est celui qui a le plus d’affect », assure Mme Montel. Une bombe à fragmentation lente. « Si elle veut revenir, il faut qu’elle fasse oublier le débat », convient un patron de fédération frontiste.

Rai de lumière

C’est pour cela que les proches de Mme Le Pen reconnaissent que ce rai de lumière accordé aujourd’hui par France 2 représente un moment « important », l’occasion de « tourner la page » du débat tant décrié. Le temps où Marine Le Pen repoussait les invitations de « L’Emission politique », les voiles gonflées par des sondages flatteurs et des audiences avantageuses, semble bien loin. Tout comme celui où elle pouvait se permettre d’annuler en dernière minute sa présence à l’émission « Des paroles et des actes », sur la même chaîne, pour cause de débatteurs non désirés placés face à elle.

La présidente du FN n’a cette fois pas eu le luxe de choisir la date de sa participation, ni de récuser le jeune ministre des comptes publics, Gérald Darmanin, qui lui sera opposé. Un débat risqué, qui pourrait bien l’emmener sur ces questions économiques et sociales dont certains frontistes estiment qu’elles ont desservi leur cause lors de la présidentielle. Son entourage assure que, contrairement au 3 mai, l’échéance est cette fois correctement préparée.

L’émission représente aussi l’occasion pour Mme Le Pen d’acter aux yeux et aux oreilles du grand public le tournant pris par son parti sur les questions européennes, où la promesse du « Frexit » laisse désormais place à un « euroréformisme » bon teint, dans lequel l’hypothèse d’un référendum sur la sortie de l’Union européenne n’est plus évoquée que du bout des lèvres. « Ça va lui permettre de préciser qu’elle a tenu compte de la présidentielle et de ce que les gens lui ont dit », concède un proche.

Jusqu’à présent, la députée ne s’est vraiment adressée qu’à ses militants, dans le cadre d’une tournée des fédérations du FN. Son recul face à l’actualité et son faible écho à l’Assemblée nationale tendent à relativiser le rôle de « première opposante » à Emmanuel Macron qu’elle prétend occuper. Depuis la rentrée, la fille de Jean-Marie Le Pen déroule plutôt l’agenda de la « refondation » du Front national en vue de son prochain congrès, les 10 et 11 mars 2018, à Lille.

« Crise profonde »

Travailler « l’implantation locale », acquérir une « culture de gouvernement »… Ces promesses ressemblent furieusement à celles déjà formulées cinq ans plus tôt, au lendemain de l’élection présidentielle de 2012, quand le pouvoir se dessinait au bout du chemin. Difficile de rejouer le même film aujourd’hui pour celle qui, à 49 ans, entend bien se présenter une troisième fois à l’élection présidentielle. « Il va falloir que Marine se révèle à elle-même et aux autres. Tout dépend de la manière dont elle réagit. L’histoire n’est faite que de sauts qualitatifs », veut croire un de ses conseillers, qui reconnaît sans mal que le FN traverse une « crise profonde ».

Rebondir, mais pour quoi faire ? Marine Le Pen est-elle vouée à devenir un Jean-Marie Le Pen bis, éternel trublion de la scène politique, incapable de se saisir d’un pouvoir au fond pas vraiment désiré ? Selon que l’on soit resté proche ou non de la patronne du parti d’extrême droite, les avis divergent, bien sûr. « Les militants du FN n’y croient plus, plus personne n’y croit chez eux. Ils sont là pour gérer une rente électorale, estime Florian Philippot, qui se pose en alternative. Les gens s’épuisent, ils ont envie de gagner. Il faut sortir du truc familial. »

Un conseiller de la présidente du FN, lui, au contraire, plastronne. « Marine, c’est une bête de combat, la meilleure et la plus populaire, veut-il croire. Vous allez dans les maternelles, les enfants de 2 ou 3 ans la connaissent : le nom de Le Pen est connu jusqu’en Amazonie ! Certains croient que c’est un handicap, mais Mégret ou Philippot, ça n’intéresse personne. » Plus prosaïquement, un cadre frontiste de valeur, qui ne compte pourtant pas plier les voiles, répond à la question en un mot. Marine Le Pen arrivera-t-elle un jour au pouvoir ? « Jamais », assure-t-il les yeux dans les yeux. Il n’a pas dû bien relire Bernanos.