Où va le Kenya ? Jour après jour, le pays s’enfonce un peu plus dans l’incertitude concernant l’organisation de l’élection présidentielle prévue le 26 octobre. Vendredi 20 octobre, à six jours du scrutin, le directeur exécutif de la Commission électorale indépendante (IEBC), Ezra Chiloba, a ainsi annoncé se mettre en congé pour trois semaines. « Une décision personnelle », a affirmé l’intéressé, dans le but de s’occuper d’un fils qui aura « 2 ans dans deux semaines ».

Evidemment, personne n’y croit. Depuis le 1er septembre et l’annulation par la Cour suprême de l’élection du 8 août, qui avait vu la victoire du président sortant Uhuru Kenyatta, M. Chiloba était devenu la cible des critiques de l’opposition, menée par Raila Odinga, accusant le directeur de l’IEBC d’être responsable des irrégularités du précédent scrutin et réclamant à grands cris sa démission, voire son emprisonnement.

« Nous avons tous été surpris par son départ, confie au Monde Andrew Limo, chargé de la communication de l’IEBC. Les accusations portées contre [Ezra Chiloba] étaient sans fondement. Il aurait dû rester jusqu’au bout. Mais la pression exercée sur lui était monumentale. Il a été la victime d’un lynchage politique. »

Appel au boycottage

La « mise au vert » de son directeur exécutif plonge un peu plus l’IEBC dans la tourmente. Elle intervient en effet deux jours seulement après la démission fracassante et la fuite aux Etats-Unis d’une des sept commissaires de l’institution, Roselyn Akombe. Mais elle ne satisfait pas pour autant l’opposition, qui appelle toujours au boycottage du scrutin.

« Tous ces changements interviennent trop tard, critique ainsi Peter Anyang’Nyong’o, puissant gouverneur du comté de Kisumu (ouest) et pilier de l’opposition. Par ailleurs, M. Chiloba n’a pas officiellement quitté ses fonctions. Et rien ne dit qu’il ne participera pas discrètement à l’organisation des prétendues élections du 26 ! Nous demandons donc aux Kényans de ne pas se rendre aux bureaux de vote. »

Décapitée, décrédibilisée, engluée dans de sombres luttes intestines, la Commission électorale donne aujourd’hui l’image d’un bateau ivre, perdu dans un océan politique des plus confus. Nul ne sait exactement dans quelles conditions sera organisé le scrutin du 26 octobre et « difficile de garantir une élection libre, équitable et crédible », a lui même reconnu, presque découragé, le président de l’IEBC, Wafula Chebukati, rescapé du naufrage sans cesse annoncé sur le départ par les médias kényans.

Face à une commission aux abois, les deux camps fourbissent donc leurs dernières armes. « Nous ne pouvons pas vivre dans une campagne électorale permanente », a prévenu vendredi, menaçant, M. Kenyatta lors de cérémonies officielles organisées à Nairobi. Le chef de l’Etat répondait aux menaces de manifestations de masse lancée par M. Odinga le jour même du scrutin. Chacun craint donc un retour des violences. Celles-ci, au mois d’août, auraient déjà fait jusqu’à 67 morts, selon un rapport récent publié par les ONG Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International.