Lyft continue de tirer parti de la mauvaise passe d’Uber. Jeudi 19 octobre, la plate-forme américaine de voitures avec chauffeurs a rendu publique une importante levée de fonds, d’un montant de 1 milliard de dollars (845 millions d’euros). A cette occasion, Alphabet, la maison mère de Google, devient l’un de ses principaux actionnaires. Un symbole supplémentaire de la relation privilégiée qu’entretiennent les deux entreprises depuis plusieurs mois.

Le tour de table valorise Lyft à hauteur de 11 milliards de dollars (9,31 milliards d’euros), soit 4 milliards de plus qu’au printemps. La société californienne reste toutefois encore très loin de son concurrent Uber, dont la valorisation, record pour une société non cotée, flirte avec les 70 milliards de dollars. La plus grande partie des fonds que vient de lever Lyft a été apportée par CapitalG, l’un des fonds d’investissement d’Alphabet, qui récupère un siège au sein du conseil d’administration de la compagnie. Mais leur montant exact n’a pas été précisé.

Un numéro deux qui résiste à Uber

Cette opération va encore compliquer la tâche d’Uber aux Etats-Unis. Sa stratégie consiste en effet à éliminer ses rivaux en opérant à perte sur les marchés les plus concurrentiels – une politique considérée comme du dumping par ses détracteurs. Elle a fonctionné dans plusieurs pays. Mais, sur le marché américain, Lyft fait mieux que résister. Et plus la société recueille des capitaux supplémentaires, plus la bataille dure et plus la route vers la rentabilité s’allonge.

Pourtant, à l’été 2016, de nombreux observateurs doutaient de la pérennité du numéro deux américain, spéculant sur un rachat à prix bradé. A l’époque, Uber venait de se retirer de Chine, cédant ses opérations au groupe chinois Didi Chuxing, en échange d’une prise de participation. Cet aveu d’échec permettait non seulement de réaffecter des ressources financières vers d’autres pays, mais aussi de saboter l’embryonnaire alliance internationale lancée fin 2015 par ses rivaux.

La situation a rapidement évolué. Fin 2016, General Motors injecte 500 millions de dollars dans Lyft, avec l’ambition de concevoir ensemble un réseau de taxis sans conducteur. En janvier, Uber devient la cible d’une campagne de boycott en raison de ses liens supposés avec l’administration Trump. Le mois suivant, la plate-forme sombre dans une grave crise de gouvernance, après des révélations mettant en cause une culture sexiste au sein de l’entreprise. Les polémiques s’enchaînent, débouchant en juin sur la démission forcée de Travis Kalanick, son fondateur et directeur général, remplacé depuis par Dara Khosrowshahi, l’ancien patron du site de voyages Expedia.

Principal défi, devenir rentable

Bénéficiant de l’image de marque écornée d’Uber, Lyft a enregistré un bond de son activité. En juillet, la plate-forme a dépassé la barre du million de trajets effectués chaque jour. Selon le cabinet Second Measure, sa part de marché a atteint 23 % en août, contre un peu plus de 15 % un an plus tôt. La société a également accéléré ses projets d’expansion, lançant son service dans plus de 160 villes au premier semestre. « Nous couvrons désormais 95 % de la population américaine, contre 54 % en début d’année », se félicite John Zimmer, son président.

En avril, Lyft avait déjà tiré profit des déboires d’Uber avec une levée de fonds de 600 millions de dollars. Et ses dirigeants affichent désormais de nouvelles ambitions. Ils envisagent de s’implanter au Canada d’ici à la fin de l’année, renouant avec les projets à l’international qui avaient été abandonnés il y a plusieurs années. Selon le New York Times, ils souhaiteraient en outre mener une introduction en Bourse dès 2018, soit un an avant la date butoir que s’est fixée son concurrent.

Si Lyft va mieux, son principal défi demeure : devenir rentable alors que ses pertes restent très élevées (600 millions de dollars en 2016 et 412 millions en 2015). La dynamique semble cependant positive. L’année dernière, la perte moyenne par trajet a été ramenée à 3,75 dollars, contre 7,77 dollars un an plus tôt.

Un complexe assemblage financier

En mai, Alphabet et Lyft s’étaient déjà rapprochés avec un partenariat dans le domaine de la voiture autonome. Mais l’investissement annoncé jeudi complique encore un peu plus l’incroyable assemblage financier du secteur. Alphabet détient en effet 5 % du capital d’Uber, mais les deux entreprises sont désormais ennemies – elles se retrouveront même dans un tribunal en décembre.

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De même, Didi est actionnaire de Lyft et d’Uber, tout en continuant d’investir dans des rivaux de ce dernier en Europe (comme Taxify, qui vient de débarquer à Paris) et en Asie. Le groupe japonais SoftBank, qui a aussi injecté des fonds dans plusieurs concurrents, va bientôt entrer dans le capital d’Uber. Et GM, contrarié par les relations entre Lyft et Google, discuterait désormais d’un partenariat avec Uber.